COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL GÉNÉRAL
§ 2 La représentation démocratique
§ 3 La séparation des pouvoirs
§ 4 La protection des libertés
§3 La séparation des pouvoirs
Ce
principe nous vient de la Grande-Bretagne. Ce sont les anglais qui,
à partir du 17ème siècle, ont commencé
à le mettre en pratique. Ce sont les premiers qui ont
essayé de diviser, de partager le pouvoir politique qui
n'appartenait traditionnellement qu'à un seul titulaire, le Roi.
Mais dans un second temps, ce sont les penseurs politiques
français (dont Montesquieu) et américains qui au
18ème siècle ont théorisé et
popularisé avec succès ce principe qu'on peut
énoncer ainsi : une même autorité ne doit pas
cumuler entre ses mains tous les pouvoirs au sein de l'Etat. On peut
dire qu'avec les révolutions française et
américaine, la séparation des pouvoirs devient à
la fois un "lieu commun" et un "dogme" de la pensée politique :
- un lieu commun car ce principe n'est pas contesté ou
critiqué chez les partisans des Lumières. Même
Rousseau qui est souvent présenté comme un adversaire de
la théorie y est favorable. Il déclare
presque banalement dans le Contrat Social : "Il n'est pas bon que celui qui fait les lois les exécute, ni que le
corps du peuple détourne son attention des vues générales
pour la donner aux objets particuliers" liv. III, chap. IV. Ce consensus ne
signifie pas pour autant que l'on s'entend sur les modalités de la séparation
des pouvoirs. A cet égard, les Constitutions de 1791 et de 1793 organisent
de façon très différente la séparation des pouvoirs.
- un dogme car on arrive à considérer qu'une
société qui ne respecte pas le principe de
séparation des pouvoirs est inévitablement despotique ou
tyrannique. Sa Constitution n'est donc que de papier. D'où
l'article 16 de la DDHC de 1789 qui déclare qu'une
société dans laquelle la séparation des pouvoirs
n'est pas déterminée n'a pas de constitution.
Revenons d'abord sur l'expérience anglaise.
1 L'origine de la séparation des pouvoirs
En Grande-Bretagne, à l'époque féodale finissante,
les pouvoirs pour l'essentiel étaient confondus dans les mains
du Roi (comme dans les autres monarchies européennes). Le
monarque anglais détenait ainsi le pouvoir de faire la
loi, de l'exécuter et d'exercer la justice. Cependant,
dès le 13ème siècle, apparaît un Parlement
comprenant des représentants répartis entre deux chambres
selon des critères sociaux et géographiques. En
1295, se réunit ce qu'on appelle le "Parlement modèle"
composé de :
- représentants de la noblesse et de l'église qui forment
la Chambre des Lords
- représentants des bourgs et des comtés qui forment la Chambre
des Communes.
Ce Parlement, fort de sa légitimité "nationale" va tenter d'arracher
au roi le pouvoir de faire la loi ordinaire : soit de la proposer et de la voter.
Comment va-t-il s'y prendre? Les parlementaires vont exercer un chantage de
plus en plus efficace sur le Roi en profitant d'une prérogative que la
grande Charte de 1215 (§2) leur avait donnée : les impôts
ne pouvaient être levés par le Roi sans leur consentement. Du coup,
en échange de l'acceptation d'un impôt, le Parlement exigera du
roi qu'il signe les pétitions (bills) votées par les parlementaires.
Ce qui a pour effet de leur donner valeur de loi (statutes). Familièrement
dit, si vous voulez de l'argent, il vous faudra accepter nos propositions de
loi.
Tout ira bien pour le Parlement jusqu'au 17ème siècle. En effet,
à cette époque, les souverains Stuart vont se rebeller : ils vont
notamment prétendre créer des impôts sans le consentement
du Parlement. C'est une des raisons qui va provoquer le déclenchement
de la première Révolution anglais. Une guerre civile éclate
qui va mener Cromwell au pouvoir en 1658. En 1660, la Monarchie est rétablie
sous condition : elle devra respecter certaines libertés notamment parlementaires
et religieuses. Mais les monarques ne respecteront pas cet engagement. En 1688,
Jacques II (1685/1688) doit s'enfuir en France (il essaiera de débarquer
en Écosse en 1708). Le Parlement appelle alors sur le trône Guillaume
d'Orange.
Cíest un épisode déterminant pour l'instauration définitive
de la séparation des pouvoirs en Angleterre. En effet, Guillaume d'Orange
(1689/1702) accepte de renoncer au pouvoir de faire la loi ou de légiférer
; pouvoir qui est alors transmis sans restriction au Parlement. Tout cela est
transcrit dans une Déclaration des droits (bill) de 1689 (§1/§2),
un des premiers textes constitutionnels anglais toujours en vigueur.
Ainsi, pour la première fois, dans un État
occidental a été mise en place une
séparation des pouvoirs politiques. D'un côté le
Parlement acquiert le pouvoir législatif tandis que le Roi
conserve le pouvoir gouvernemental. Attention! même si on parle
de séparation des pouvoirs, il faut préciser que les
organes qui détiennent ces différents pouvoirs ainsi
partagés doivent collaborer et peuvent agir l'un sur l'autre.
Par exemple, le Roi peut s'opposer aux lois (droit de veto) en refusant
de les signer (ou promulguer) et garde la prérogative
féodale de dissoudre le Parlement.
Cette expérience anglais va fortement impressionner les penseurs politiques
de l'époque ; d'abord les penseurs anglais tels John Locke (voir par
exemple ses deux Traités sur le Gouvernement civil de 1690) puis les
penseurs français comme Montesquieu. Ce dernier dans un livre fameux
intitulé De l'Esprit des Lois (1750) va, en s'inspirant de la Constitution
d'Angleterre, exposer dans sa forme quasi définitive le principe de séparation
des pouvoirs. Principe qui deviendra un des fondements de la pensée libérale
révolutionnaire en France, aux États-Unis... et que les constitutions
les plus modernes ou récentes tentent toujours d'appliquer.
Nous allons préciser successivement à partir de Montesquieu le
but, les modalités d'application et les interprétations de ce
principe.
2. Le principe de la séparation des pouvoirs
Ce principe s'analyse chez Montesquieu et ses contemporains en une recette de
gouvernement destinée à éviter le despotisme.
A.
La justification du principe :
Montesquieu part du constat que toute personne qui détient des pouvoirs,
(a fortiori tous les pouvoirs), aura tendance à en abuser. Autrement
dit, il aura tendance à utiliser ses compétences sans respecter
aucune limite, notamment de droit. C'est une "loi" psychologique ou sociologique
qu'on peut vérifier facilement. Les français de l'époque
pensent à la Monarchie absolutiste, celle d'un Louis XIV par exemple
usant sans retenue de lettres de cachet.
Il faut donc faire en sorte que s'instaure un "Gouvernement
modéré" ; idéal de Montesquieu comme des premiers
révolutionnaires français, américains...
Autrement, les libertés, la sûreté comme on disait
à l'époque ne seront pas garanties.
La solution : diviser le pouvoir, ne pas le confier dans son entier
à un seul titulaire quel qu'il soit ( Roi, Prince, Sultan,
Peuple). S'il est distribué à différents
individus, organes, alors la puissance d'État sera mieux
répartie, freinée et du coup, la tyrannie sera
évitée. On veillera en conséquence que les
trois grandes fonctions étatiques distinguées par
Montesquieu (et avant lui par Locke notamment) ne soient jamais
confiées à un même titulaire. Quelles sont ces
trois grandes fonction ?
Par ordre díimportance (et donc hiérarchiquement) :
1 la fonction de légiférer : "faire des lois pour un temps, ou
pour toujours, la corriger ou l'abroger"
2 la fonction exécutrice : exécuter les lois et au sens large
gouverner: "faire la paix ou la guerre, envoyer ou recevoir des ambassades,
établir la sûreté et prévenir les invasions". (=
pouvoir fédératif selon Locke).
3 la fonction de juger : punir les crimes ou juger les différends des
particuliers.
Or, nous dit Montesquieu, "Tout serait perdu si le même homme, ou le même
corps de principaux, ou des nobles, ou du peuple, exerçaient ces trois
pouvoirs".
B.
L'originalité du principe :
Cette solution semble aller de soi aujourd'hui. Elle est presque banale.
Mais il faut savoir qu'à l'époque, elle fut considérée
comme neuve, iconoclaste. Elle s'opposait en effet à des siècles
de pensée politique ; une pensée politique qui depuis les grecs
(Platon, Aristote) en passant par le Moyen-Age (Saint Thomas saint Augustin)
admettait au contraire les bienfaits du régime de confusion des pouvoirs.
Pour tous ces penseurs, le meilleur régime était un régime
de monocratie (un seul pouvoir confié à un seul titulaire). Soit
en Occident, la monarchie.
Il allait de soi pour les partisans de la théorie politique traditionnelle
que l'on devait confier tous les pouvoirs à un seul titulaire et non
les disperser entre plusieurs organes. Autrement, on courait le risque de l'anarchie.
Or l'anarchie était pour tous ces penseurs le pire des régimes
(après la démocratie selon Platon), soit l'expression du mal politique
par excellence.
Dans un souci de cohérence, afin de préserver
l'unité et la continuité de l'action de l'Etat, il allait
de soi que l'on confie la totalité des pouvoirs à un seul
responsable [ce qui n'excluait pas des délégations]. Ce
responsable, c'est le roi-philosophe de Platon, le roi
très chrétien désigné par la providence
divine des penseurs chrétiens du Moyen-Age. Ce roi par sa
sagesse, son art de gouverner, a vocation a diriger l'Etat. Son
régime ne dérivera pas en tyrannie car le roi enclin
à respecter les préceptes fournis par sa conscience
ou sa religion saura agir avec mesure.
Montesquieu et la majorité des révolutionnaires sont
persuadés au contraire que cette barrière (la conscience,
la religion) est trop fragile. Il faut opposer au pouvoir du pouvoir et
ne pas faire confiance à un seul homme. Autrement, l'Etat de
droit ne serait exister. C'est ce qu'exprime de façon
catégorique l'article 16 de la Déclaration des
droits de l'Homme : « Toute société dans laquelle
la garantie des droits n'est pas assurée, ni la
séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de
constitution ».
3 Les modalités d'application
A.
La séparation horizontale
Pour aller plus loin :
- M. Troper, La séparation des pouvoirs et l'histoire constitutionnelle
française, LGDJ, 1980. (spécialement p. 121 pour la balance
des pouvoirs et p. 142 pour la spécialisation)
- M. Troper, "L'interprétation de la déclaration des droits...",
Droits, 1988, n°8, p. 111.
a. Notion
C’est cette séparation qui va être théorisée
surtout par les auteurs européens, notamment Montesquieu. Ce dernier
va distinguer trois grandes fonctions étatiques qui ne doivent jamais
être confiées à un même titulaire au sommet de l’Etat.
Par ordre d’importance (et donc hiérarchiquement) :
- la fonction de légiférer : « faire des lois pour un temps,
ou pour toujours, la corriger ou l'abroger »
- la fonction exécutrice : exécuter les lois et au sens large
gouverner : « faire la paix ou la guerre, envoyer ou recevoir des ambassades,
établir la sûreté et prévenir les invasions ».
(= pouvoir fédératif selon Locke).
- la fonction de juger : punir les crimes ou juger les différends des
particuliers.
Or, nous dit Montesquieu, « Tout serait perdu si le même homme,
ou le même corps de principaux, ou des nobles, ou du peuple, exerçaient
ces trois pouvoirs ».
Mais, une fois que l’on a admis la nécessité de répartir
les fonctions étatiques (exécuter, légiférer, juger)
entre différentes autorités, il reste à établir
comment cette répartition va se faire. Différentes difficultés
surgissent qui appelleront des solutions divergentes : on ne s’entendra
pas sur le choix des titulaires de ces fonctions, sur la nature de leurs relations
(seront-ils indépendants ou dépendants). Pourront-ils agir les
uns sur les autres ? etc.
La difficulté la plus grande est la suivante : comment faire en sorte
que l’autorité qui est chargée de la fonction législative,
(fonction la plus noble mais aussi la plus importante) ne profite pas de sa
suprématie pour se saisir des autres fonctions et devienne finalement
despotique. Dans ce cas, on aurait échangé une tyrannie (celle
du Roi) pour une autre (celle du Parlement)... Deux grandes solutions vont être
imaginées qui vont conduire à l’édiction de Constitutions
très différentes au 18ème siècle.
b. Balance des pouvoirs
Cette solution est développée par Montesquieu à partir
de l’expérience anglaise (dans le livre XI de l’Esprit des
Lois). Elle sera adoptée notamment par les constituants français
en 1791 et 1795 et par les constituants américains en 1787.
1 définition
La balance des pouvoirs consiste à partager le pouvoir législatif
entre plusieurs organes hiérarchisés qui se font contrepoids.
On refusera en conséquence de confier ce pouvoir à un seul organe
comme le Parlement ; les autres organes (comme le Roi) participeront de cette
fonction. Ils entreront dans le processus de fabrication de la loi. Comme cela,
le gouvernement d’assemblée ou la tyrannie du Parlement sera évité.
La solution est complexe : on ne se contente pas de répartir les trois
grandes fonctions (exécuter, légiférer, juger) entre des
organes différents. On prend soin de répartir aussi la fonction
législative entre plusieurs autorités dont il faut coordonner
les activités et prévoir les interactions.
2) les conséquences
- La « puissance législative » est répartie
entre plusieurs organes. Chez Montesquieu, il s’agit du Parlement
[divisé en deux chambres, une chambre haute représentant
les nobles, une chambre basse représentant le peuple] et du Roi.
De la même façon, ce pouvoir est réparti dans la
Constitution de 1791 entre le Corps législatif et le Roi. Aux
Etats-Unis en 1787, le Président et le Congrès [Parlement
bicaméral] participent au pouvoir législatif.
- Les organes chargés de la législation se font contrepoids ou
équilibre (d’où le terme de balance). Aux Etats-Unis, on
parle ici de la théorie des « checks and balances » (freiner
l’action - faire équilibre). Pour cela on va permettre selon l’expression
de Montesquieu aux organes de « s’arrêter » ou de faire
pression les uns sur les autres.
Ainsi, selon Montesquieu, le Roi, en tant qu’organe/partie de la législation,
se voit confier une « faculté d’empêcher ». On
l’appellera droit de veto dans les Constitutions française et américaine.
• Constitution de 1791, chapitre III, section III intitulée
De la sanction royale. Il est prévu que le Roi peut refuser son
consentement ou sa sanction aux actes du pouvoir législatif mais
ce refus (article 2) n'est que suspensif. Le consentement du roi est
exprimé par cette formule : "le roi consent et fera
exécuter". Le refus suspensif est exprimé par celle-ci :
"le roi examinera". Le veto est suspensif au sens où il est
temporaire. Ainsi, selon l'article 6, les actes législatifs qui
lui auront été présentés trois fois de
suite (après avoir été votés à
l'occasion de 3 législatures donc sur trois ans) ont "force de
loi et portent le nom et l'intitulé de lois".
• Constitution américaine de 1787 (toujours en vigueur, article
premier, section VII). Le Président américain aura le choix entre
approuver un texte ou le renvoyer avec ses objections à la Chambre dont
il émane. Dans le premier cas, il le revêtira de sa signature.
- Aucun organe n’est spécialisé. Si plusieurs
organes se partagent le pouvoir législatif, ils sont en
même temps organe d’une autre fonction. Ainsi, selon
Montesquieu, le monarque se voit confié par ailleurs la fonction
exécutive. Le Parlement à travers la chambre basse peut
participer à la fonction de juger qui est confiée
principalement à des tribunaux temporaires composés par
« des personnes tirées du peuple ».
3) les risques
Les moyens d’interaction entre les organes sont limités. On peut
craindre la survenance de blocages, conflits sans solution, et finalement la
paralysie du système. C’est ce qui se passera en 1791 avec l’abus
du droit de veto par Louis XVI, surnommé « monsieur veto ».
c. Spécialisation des pouvoirs
Cette solution est proposée notamment par Rousseau et va être reprise
dans les Constitutions de 1793 et de 1848. Elle sera reprise à l’époque
contemporaine dans les Constitutions des Etats communistes.
1) définition :
Les organes constitutionnels hiérarchisés se voient
confier l'entièreté ou le monopole d'un pouvoir. Il
existe une séparation absolue entre eux, donc aucune
interaction. Pas de faculté d’empêcher (ou de
dissolution) en conséquence. Le Parlement se voit confier la
fonction essentielle, la fonction législative car il est
censé parler au nom du Peuple ou de la Nation. Les autres
organes se voient confier les fonctions dérivées (pouvoir
exécutif et judiciaire). Il faut noter que la séparation
ici n’exclut pas des liens de subordination qui profitent au seul
Parlement. Ainsi la Constitution de 1793 prévoit à son
article 63 que le Corps législatif choisira les membres du
Conseil exécutif ; ce dernier réside auprès du
Corps législatif (art. 75) et est entendu toutes les fois
qu’il a des comptes à rendre (art. 76).
Comment cette solution se justifie-t-elle et préserve-t-elle la liberté ?
2) justification
Pour Rousseau, le pouvoir législatif appartient nécessairement
au peuple souverain qui l’exerce à travers un Parlement qui lui
est fidèle et lui obéit. Le peuple ne saurait donc partager le
pouvoir législatif avec personne. Ce serait abdiquer sa liberté.
La spécialisation est donc nécessaire ; elle préserve la
séparation des pouvoirs et finalement garantit la liberté.
Le peuple ici n’obéit qu’à lui-même ; il est l’auteur
de la loi qu’il s’impose et nul ne vient interférer dans la
fabrication de cette loi. Dès lors, le peuple est libre et la tyrannie
impossible.
3) risque
La séparation des pouvoirs n’exclut pas une subordination de tous
les organes au Parlement le risque est qu’elle mène au despotisme
de ce Parlement n’est pas négligeable.
d. L'interprétation traditionnelle (et sa critique)
Les idées de Montesquieu (mais aussi de Locke) ont fait l'objet d'une
interprétation, dite "traditionnelle" par les juristes français
lors du 19ème siècle. Elle est presque complètement abandonnée
; ses erreurs ayant été mises à jour. Il reste qu'elle
a profondément influencé le droit public français.
a) L'interprétation traditionnelle : C'est à elle qu'on doit cette
expression, voire cette notion de "séparation des pouvoirs".
En effet, à partir du 19ème siècle, les plus grands juristes
français qu'ils soient partisans de la théorie comme Esmein ou
adversaires comme Duguit ou Carré de Malberg (imités en cela par
la doctrine allemande) vont affirmer que Montesquieu a non seulement voulu diviser
le pouvoir mais aussi séparer les organes titulaires chacun d’une
grande fonction étatique. Selon eux, il aurait prôné une
séparation absolue ou un isolement des organes ; théorie qui aurait
été appliquée en conséquence par les premières
constitutions françaises révolutionnaires : celles de 1791 et
de 1795 (= an III) et américaine.
Trois critères définissent cette conception de la doctrine classique
:
1 spécialisation fonctionnelle : chaque organe est
spécialisé et ne peut donc participer de la fonction d'un
autre organe ; par exemple, le roi ne pourrait participer de la
fonction législative ; il ne peut qu'exécuter les lois.
2 indépendance des organes politiques : les organes politiques ne peuvent
agir les uns sur les autres même à travers de simples moyens d'empêcher.
3 équilibre : il n'y aurait pas de hiérarchie entre les pouvoirs
ou les organes ; chacun serait au même niveau ayant des fonctions équivalentes.
b) Critique :
On va s'apercevoir assez tard que cette conception ne correspond ni aux idées
de Montesquieu, ni aux intentions des constituants français et américains
au18ème siècle et ne se reflète donc pas dans les textes
constitutionnels.
- Concernant Montesquieu, C. Eisenmann dans un article paru en 1933 explique
que "l'idée de séparer les autorités étatiques
est complètement absente de l'Esprit des Lois : elle n'y est ni réalisée,
ni formulée » (p. 179). En effet, "aucune des trois autorités
n'est à la fois attributaire de l'intégralité d'une fonction,
maîtresse de cette fonction et spécialisée dans cette fonction".
En fait, plus modestement, ce que Montesquieu aurait voulu, c'est "qu'il
ne faut pas que deux quelconques des trois fonctions soient réunies entre
les mêmes mains" (p. 178).
- Concernant les intentions des constituants français : si on prend l'exemple
de la première constitution française de 1791, on peut voir ainsi
que le Roi participe de la fonction législative (en invitant par exemple
le Corps législatif à voter telles ou telles lois chapitre III,
section 1, article 1) = pas de spécialisation. Il peut agir sur ce Corps
législatif (à travers son droit de veto) = pas d'indépendance.
Et enfin il a une fonction bien moins essentielle que celle de faire la loi
; il est en situation d'infériorité par rapport au Parlement =
pas d'équilibre.
Nota : la conception traditionnelle de la séparation des pouvoirs si
elle s’oppose complètement à l’idée de balance
des pouvoirs se rapproche de l’idée de spécialisation des
pouvoirs à une différence près qui est essentielle. En
effet, Rousseau n’envisage aucun équilibre entre les organes mais
plutôt une subordination au profit du Parlement exprimant la volonté du peuple.
e) perfectionnement et limites de la théorie
1 Perfectionnement
La théorie de la séparation des pouvoirs a été adaptée,
perfectionnée. Cette évolution a concerné :
a) la conception des fonctions étatiques
b) les relations entre organes politiques sont encore plus poussées
a) Les fonctions
La hiérarchie et le contenu des fonctions ne sont plus les mêmes
depuis le 18ème siècle. La nouvelle hiérarchie est la suivante
: 1- pouvoir exécutif 2 - pouvoir législatif 3 - pouvoir judiciaire.
Quant au contenu :
1 la fonction exécutive est entendue au sens large. Il ne s’agit
plus seulement d'exécuter les lois aujourd'hui. Il s’agit de décider,
d’administrer. Cela implique que l’organe chargé principalement
de la fonction exécutive fixera les buts de l’Etat, son orientation
générale. Cette fonction est comprise maintenant une fonction
active, un « pouvoir d'action »
2 la fonction législative ne correspond plus seulement légiférer
à l’action de légiférer ou de faire la loi. Elle signifie
aussi surveiller, sanctionner le gouvernement. C’est devenu un « pouvoir de contrôle »
3 la fonction judiciaire ne signifie plus appliquer mécaniquement les
lois aux différends des particuliers. Juger implique aussi interpréter,
adapter la loi aux situations et aux époques.
b) Les relations entre les organes
Dans les régimes contemporains de séparation des pouvoirs, les
organes politiques ont multiplié les interactions devenues elles-mêmes
plus fortes. On peut donc dire que l’idée de balance des pouvoirs
l’a emporté sur celle de spécialisation.
La principale évolution concerne l’apparition de la
faculté de révocation qui est au cœur du
parlementarisme contemporain. Ainsi, gouvernement et Parlement font
plus que s'empêcher : ils se révoquent. Comment ?
* Le gouvernement (son chef) a le droit de dissoudre le Parlement (généralement
la 1e chambre). C’est le cas en Angleterre, en RFA, Italie.
* Le Parlement réciproquement peut censurer le gouvernement ; ce qui
oblige ce dernier à démissionner : ex l'article 49.
2 limitations de la théorie moderne de la séparation des pouvoirs
Si la théorie originelle de la séparation des pouvoirs avec ses
deux modalités d’application a connu un échec relatif (blocages,
dérive parlementariste), la théorie remaniée s’est
révélée fiable. Cependant la pratique révèle
que cette théorie ne peut empêcher un retour à la confusion
des pouvoirs :
a) par le jeu des élections : les électeurs peuvent toujours donner
la victoire à un parti qui refuse le principe même de la séparation
des pouvoirs et cherche à l’abolir. La seule garantie qui peut fonctionner
ici est l’inscription du principe dans la Constitution. Ce qui permettra
à une cour constitutionnelle de s’opposer à toute loi qui
remette en cause le principe. Cette garantie existe en France. En effet, le
Conseil constitutionnel veille au respect de l’article 16 de la Déclaration
des droits de l'homme et du citoyen de 1789 qui fait référence
à ce principe et a valeur constitutionnelle. A plusieurs reprises, Il
s'est référé à la S des P mais en l'invoquant surtout
à propos des rapports entre Pouvoir Judiciaire et les autres pouvoirs
:
Ex : décision n°87-228DC (26 juin 1987) qui précise que le
législateur ne saurait censurer les décisions prises par les juridictions.
Aller contre ces décisions reviendrait à enfreindre le principe
de S des P et à ne pas respecter la chose jugée. [Ce qui n'empêche
pas que le législateur « modifie les règles que le juge
a mission d'appliquer » : décision n°80-119DC].
Cette garantie n’est pas absolue car la Constitution peut être révisée...
b) par le jeu partisan : rien n’empêche que le même parti ou
coalition à la suite des élections détienne pouvoir exécutif
et pouvoir législatif. Dès lors apparaît une subordination
de type politique au profit de l’un ou l’autre pouvoir selon que les
chefs politiques appartiennent à l’un ou l’autre de ces pouvoirs.
Actuellement dans les régimes parlementaires comme le régime français,
c’est le pouvoir exécutif qui se trouve en situation de prééminence.
On peut compter cependant sur la tendance naturelle des partis démocratiques
à se diviser ou se rebeller pour espérer que le pouvoir exécutif
rencontre des résistances au sein de sa propre majorité parlementaire.
B. La séparation verticale
a. Notion
La séparation verticale recherche un équilibre des pouvoirs entre
le sommet et la base de l’Etat. L’autonomie concédée
à des pouvoirs locaux permet de limiter le pouvoir central. Il appartient
aux américains d’avoir compris que la préservation des la
libertés des individus exigeait qu’une séparation des pouvoirs
n’existe pas seulement qu’au sommet de l’Etat. D’autres
« balances » devaient être mises en place notamment entre
le pouvoir central et des pouvoirs décentralisés et fédérés.
J. Adams en 1814 voit dans la Constitution américaine ainsi deux balances
fédérales : gouvernement central et Etats américains fédérés,
Sénat fédéral et législatures fédérales.
C’est évidemment le fédéralisme
inventé par les États-Unis en 1787 qui retient
l’attention et que nous décrirons en premier. En effet, la
décentralisation était déjà connue et
pratiquée dans la vieille Europe sous le féodalisme
(autonomie des villes, Parlements, etc. ) et garantie (Cf. la Charte de
1215 anglaise).
b. Le fédéralisme
1) Origine
Le phénomène fédératif est récent. Les américains
en 1787 ont établi à Philadelphie le premier pacte fédéral.
Pourtant le terme “fédéral” n’apparaît pas
dans la Constitution américaine. Cette discrétion démontre
que le fédéralisme est moins le produit d’une doctrine que
le résultat d’un compromis ; un compromis entre les partisans d’un
pouvoir central fort et ceux qui souhaitaient que les Etats américains
préservent leurs prérogatives. Les premiers souhaitaient que l’on
crée un Etat traditionnel centralisé et les autres une alliance
ou confédération entre Etats. Le résultat est une formule
originale avec un pouvoir central tout puissant dans son domaine qui se situe
au-dessus d’Etats-membres qui continuent d’exercer leurs prérogatives
dans leur domaine propre.
Le phénomène fédératif ne prendra son essor qu’au
20ème siècle. Il permettra ainsi de prendre en compte des particularismes
ethniques, linguistiques, culturels au sein des nouveaux Etats du tiers-monde
et de résoudre les difficultés nées de la décolonisation
(Asie : Chine, Malaisie, Indonésie, Afrique : Nigeria capitale Abuja).
Les fédérations naissent aujourd’hui à la suite d’un
processus :
- soit de regroupement d’États qui fusionnent pour
créer au dessus d’eux une nouvelle collectivité
étatique, un super État qui seul sera reconnu comme
État en droit international. Les États regroupés
perdent leurs qualités d'État : d'ailleurs, le terme
d'État n'est généralement pas utilisé pour
les qualifier (provinces au Canada, Républiques dans l'ex-URSS,
Länder en Allemagne, Cantons en Suisse...) ; ce sont de simples
entités fédérées.
Exemple : les États-Unis en 1787
- soit de division d’un État qui accepte que des entités
seulement décentralisées jusque-là deviennent fédérées
et disposent alors d’un pouvoir constituant, législatif, réglementaire
propre.
Exemple : l’URSS en 1924, la Tchécoslovaquie en 1969
2) Définition de l’Etat fédéral
C’est un État dans lequel le gouvernement central accepte que l’exercice
de certaines compétences soit confié à des entités
(Républiques, Provinces...) qui vont se diriger elles-mêmes. Le
maximum d’autonomie est confié aux pouvoirs locaux (Principe de
« libre gouvernement »). Corollaire : les individus seront soumis
à des normes fédérales communes (Constitution fédérale,
lois fédérales...) et à des normes locales propres aux
entités fédérées (Constitution, lois des entités
fédérées). Le gouvernement central conserve en général
des compétences dites « régaliennes » [droit de faire
la guerre, droit d'avoir des représentations diplomatiques à l'étranger,
droit de battre monnaie].
3) Fonctionnement
Toutes les fédérations appliquent avec plus ou moins de rigueur
les principes suivants :
* principe de superposition : il existe dans toute
fédération deux niveaux de compétences qui sont
superposés. Le pouvoir fédéral produit ainsi ses
propres normes dont l’application est contrôlée par
son propre système juridictionnel coiffé d’une Cour
suprême. Il en est de même pour les entités
fédérées qui produisent leurs propres normes et
ont leur propre système juridictionnel. Il reste que le pouvoir
fédéral est supérieur à celui des
entités fédérées. Cela implique notamment
que ses décisions s'appliquent directement dans l'ordre
juridique interne des entités fédérées. Il
y a donc primauté du droit fédéral sur le droit
interne. (Voir la clause de supériorité aux
États-Unis - art VI de la Constitution de 1787 -
précisant les modalités d'application). Ces
décisions sont donc opposables à toute personne juridique
sur le territoire entier du territoire fédéral.
On comprend alors pourquoi il est très difficile pour les
différentes unités fédérées de
sortir de la fédération pour (re)devenir des
États. Cela équivaut à ce qu’elles
récupèrent des compétences «
régaliennes » [droit de faire la guerre, droit d'avoir des
représentations diplomatiques à l'étranger....]
dont le pouvoir fédéral refusera avec la dernière
énergie de se défaire. Ces difficultés se
traduisent souvent par des conflits (Cf. la Guerre de
Sécession).
Nota : Une seule exception : le droit pour les Républiques soviétiques
de quitter l’URSS prévu par la Constitution soviétique de
1924. Mais ce droit n’était pas effectif.
* principe de participation : chacune des entités fédérées
participe à la prise de décision au niveau fédéral.
Cette participation est permise grâce à la représentation
des entités fédérées au sein de l'Exécutif
fédéral ou surtout du Législatif fédéral.
Généralement, la représentation au sein du Législatif
est double :
- représentation des États (égalitaire)
- représentation des populations (proportionnelle)
Ce qui conduit à un bicamérisme = Parlement de 2 chambres (ex
États-Unis: Chambre des Représentants, Sénat).
* principe d'autonomie : chaque entité fédérée est
autonome. Cette autonomie se manifeste notamment :
- par le fait que les entités ont généralement une
compétence de droit commun. Cela implique que si la Constitution
fédérale énumère de façon rigoureuse
les compétences de l’Etat fédéral, elle
laisse ouvert et indéterminé le domaine d’action
des entités fédérées qui pourra donc
s’élargir avec le temps. C’est le cas pour
l'Allemagne, art. 72, les États-Unis section VIII, amendement
n°X de 1791 qui ont donné une compétence
d'attribution à l'État fédéral et une
compétence de droit commun aux entités
fédérées Länder, États
fédérés. Pour les États-Unis, la Cour
Suprême a admis que l'État fédéral
possédait implicitement les pouvoirs nécessaires à
l'exercice de sa compétence d'attribution.
c. La décentralisation :
1) origine
La décentralisation est d’origine ancienne. Le féodalisme
permettait que des entités variées, seigneuries, villes, bénéficient
d’une forte autonomie dans des domaines comme la justice, la réglementation,
les impôts ; une autonomie consacrée par des coutumes immémoriales.
La tutelle du Roi s’affirmera cependant progressivement à partir
du 16ème siècle. Bientôt, la centralisation favorisée
par l’émergence du fait national conduira à l’instauration
de pouvoirs centraux forts notamment en France. Cela sous l’Ancien Régime
jusqu’à la Révolution.
La Révolution française proclama une « République,
une et indivisible » et Napoléon poursuivit l’œuvre centralisatrice.
Il semblait que la conservation de l’Etat et la préservation de
la souveraineté nationale l’exigeait. Voilà pourquoi le passage
à la décentralisation sera timide et tardif en France. Il sera
défendu au départ par les partisans du retour à l’Ancien
régime, les royalistes nostalgiques des anciennes provinces. Puis finalement
au 19ème siècle, les républicains libéraux se rallièrent
à l’idée de la décentralisation sans vraiment l’appliquer.
Il est vrai que ce principe rejoignait l’idée libérale de
séparation des pouvoirs. Mais il faut attendre le 20ème siècle
pour que la tutelle de l’Etat sur les collectivités territoriales
soit supprimée avec les lois Defferre de 1982.
2) Définition
Les États décentralisés sont des États dans lesquels
le pouvoir juridique d’État est en partie confié aux individus
qui, à travers certaines institutions administratives généralement
élues vont s’administrer avec un contrôle souple du gouvernement
central. Cette « libre administration » peut conduire, lorsqu’elle
est très poussée, à permettre à ces institutions
de disposer d’un pouvoir normatif (réglementaire, législatif)
autonome dans certains domaines [Espagne, Italie]. Mais ce pouvoir ne saurait
être constituant ; donc permettre aux institutions décentralisées
de définir leur propre statut.
Le principe de libre administration se manifeste par le fait que les institutions
décentralisées ont :
- la personnalité juridique (ce qui leur permet d'avoir leurs propres
agents publics et ressources).
- disposent d'une compétence spécialisée sous le contrôle
de l'État : en France, existe un contrôle juridictionnel (exactement
un contrôle sur les actes, exercé par les préfets qui déférent
ces actes devant les juridictions lorsqu'ils estiment qu'ils sont illégaux).
Ce contrôle a succédé à la tutelle (soit un contrôle
administratif exercé par le Préfet sur les personnes et les actes).
3) Les types de décentralisation
Exemple de la France ;
On connaît deux types de décentralisation en France :
- la décentralisation fonctionnelle : elle consiste à
reconnaître un pouvoir de décision à des services
publics autonomes disposant de la personnalité morale. Elle est
souvent réalisée à travers des
établissements publics qui ont une sphère
d'activité déterminée ou
spécialisée. Par exemple, les universités ont en
vertu de l'article 20 de la loi n°84-52 du 26 janvier 1984 comme
spécialité la recherche, la formation et la
documentation.
- la décentralisation territoriale : elle consiste à reconnaître
un pouvoir de décision à des collectivités territoriales.
Ces dernières ont une activité spécialisée en fonction
d'un cadre géographique. En France, depuis la révision constitutionnelle
du 28 mars 2003, 5 types de collectivités territoriales sont directement
prévus par la Constitution (article 72) : les communes, les départements,
les régions, les collectivités à statut particulier et
les collectivités d’outre-mer (régies par l’article
74). Avant 2003, seuls 3 types de collectivités étaient prévus
: les communes, les départements et les T.O.M. Mais la Constitution permettant
au législateur d’instituer d'autres catégories de collectivités
territoriales, il avait ainsi, dès 1982, transformé la région
en collectivité territoriale.
Nota : Le Conseil constitutionnel, interprétant de façon
libérale l’art. 72, a admis que le législateur
pouvait créer des catégories qui ne comprendraient
qu’une unité [décision 82-138 DC] et que ces
catégories n’avaient pas nécessairement la
même organisation institutionnelle [décision 91-290 DC].
Cela a été le cas lorsque le gouvernement a mis en place
en 1982 et en 1991un statut pour la Corse qui a fait d’elle une
région spécifique ayant sa manière propre
d’administrer et de représenter ses citoyens.
4) Les principales étapes de la décentralisation en France
La France connaît depuis le 19e siècle un processus lent de décentralisation.
Mais les principales étapes ont eu lieu au 20ème siècle
:
- La loi du 2 mars 1982 (sur les droits et libertés des communes, départements
et régions) a notamment transmis la majorité des pouvoirs qui
étaient aux mains des organes déconcentrés (Cf. les préfets)
au profit des organes décentralisés qui sont tous élus
maintenant. Cette loi a aussi supprimé en grande partie la tutelle au
profit d'un contrôle de légalité effectué par le
juge administratif à la demande du Préfet (déféré).
[Nota : le Conseil constitutionnel a admis la
constitutionnalité du déféré
préfectoral même si dans ses modalités ce
déféré tel qu'il résultait de la loi du 2
mars 1982 avait été jugé non conforme à la
Constitution. Les modalités du contrôle des actes des
collectivités territoriales ont été revues par la
loi du 22 juillet1982.]
- Les lois de décentralisation concernant les TOM et la Corse (1998/2001).
Ces lois sont la conséquence directe d’accords politiques intervenus
alors que se développaient des revendications indépendantistes
parfois de manière violente. Ces accords étaient en contradiction
avec la Constitution à tel point qu’il a fallu la réviser
pour les incorporer à des lois. Ils remettent en cause le caractère
unitaire de la République.
- Concernant la Nouvelle-Calédonie, l’accord de
Nouméa a donné lieu à une révision de la
Constitution intervenue en 1998 (nouveau titre XIII, articles 76 et 77
- Loi constitutionnelle n° 98-610 du 20 juillet1998) et à
une loi organique. L’accord prévoyait notamment un
régime de préférence territoriale pour
l’accès à la fonction publique, de réserver
le droit de vote à ceux qui le possédaient en 1988 ou
à leurs descendants, l’instauration d’une
citoyenneté de la Nouvelle-Calédonie, la
possibilité pour le Congrès de prendre des
délibérations ayant le caractère de « lois
de pays » ne pouvant être contestées que devant le
Conseil constitutionnel, la mise en place d’institutions
coutumières comme le « Sénat coutumier
»… Ces dispositions étant contraires au droit
constitutionnel, il a fallu réviser la Constitution pour
éviter une censure du Conseil constitutionnel.
Complément :
- La citoyenneté de la Nouvelle-Calédonie traduit «
la communauté de destin choisie » et s'organiserait,
après la fin de la période d'application de l'accord, en
nationalité, s'il en était décidé ainsi.
- Les délibérations du Congrès ayant le caractère
de loi du pays ne pourront être contestées que devant le Conseil
constitutionnel avant leur publication, sur saisine du représentant de
l'Etat, de l'Exécutif de la Nouvelle Calédonie, d'un président
de province, du président du Congrès ou d'un tiers des membres
du Congrès.
- Le Sénat coutumier est obligatoirement saisi des projets de
lois du pays et de délibération lorsqu'ils concerneront
l'identité kanak au sens du présent document. Lorsque le
texte qui lui sera soumis aura le caractère de loi du pays et
concernera l'identité kanak, le Congrès de la
Nouvelle-Calédonie devra à nouveau
délibérer si le vote du Sénat coutumier n'est pas
conforme. Le vote du Congrès s'imposera alors.
- Les compétences détenues par l'Etat seront transférées
à la Nouvelle-Calédonie dans les conditions suivantes :
* certaines seront transférées dès la mise en œuvre
de la nouvelle organisation politique ;
* d'autres le seront dans des étapes intermédiaires ;
* d'autres seront partagées entre l'Etat et la Nouvelle-Calédonie
;
* les dernières, de caractère régalien, ne pourront être
transférées qu'à l'issue de la consultation mentionnée
au 5.
[La consultation portera sur le transfert à la
Nouvelle-Calédonie des compétences régaliennes,
l'accès à un statut international de pleine
responsabilité et l'organisation de la citoyenneté en
nationalité. Si la réponse des électeurs à
ces propositions est négative, le tiers des membres du
Congrès pourra provoquer l'organisation d'une nouvelle
consultation qui interviendra dans la deuxième année
suivant la première consultation. Si la réponse est
à nouveau négative, une nouvelle consultation pourra
être organisée selon la même procédure et
dans les mêmes délais. Si la réponse est encore
négative, les partenaires politiques se réuniront pour
examiner la situation ainsi créée].
- Concernant la Corse, les accords de Matignon de 2001 ont prévu
notamment de doter la Corse d’un pouvoir réglementaire
(permettant à l’Assemblée de Corse d’adapter
les textes réglementaires) et législatif (permettant
à cette Assemblée de déroger par ses
délibérations à certaines dispositions
législatives dans des conditions définies par le
Parlement). Mais, ce pouvoir autonome avait déjà
été déclaré contraire à la
Constitution par le Conseil constitutionnel (décision
n°82-138) car portant atteinte notamment à
l’indivisibilité de la République. Le Conseil
constitutionnel a confirmé sa jurisprudence en censurant dans sa
décision n°2001-454 du 17 janvier 2002 ces dispositions
reprises par la loi relative à la Corse du 18 décembre
2001 [cf. Art. L. 4424-2]
(http://www.assemblee-nationale.fr/ta/ta0751.asp).
La seule solution pour permettre à une collectivité
territoriale de détenir un pouvoir réglementaire ou
législatif était donc de réviser la Constitution.
C’est ce qui a été fait par la loi
constitutionnelle du 28 mars 2003.
- La révision constitutionnelle du 28 mars 2003 :
La décentralisation est considérée comme un des caractères
de la République (article 1). Elle est poussée très loin
au risque de remettre en cause les principes d’égalité et
de représentation :
• D’une part, les collectivités territoriales se voient reconnaître
« un pouvoir réglementaire pour l’exercice de leurs compétences
» ; surtout, elles peuvent déroger « à titre expérimental
et pour un objet et une durée limités » aux dispositions
législatives et réglementaires qui régissent l’exercice
de leurs compétences (nouvel art. 72).
Les collectivités territoriales d’outre-mer ont un statut qui peut
être évolutif et très différent de celui des collectivités
de la métropole. Ce statut est défini par une loi organique adoptée
après avis de leur assemblée délibérante. Sont cependant
soustraites à leur compétence certaines matières fondamentales
comme la nationalité, les droits civiques, les garanties des libertés
publiques. Le Conseil d’État peut annuler les décisions non
conformes à ce statut. Si le Conseil constitutionnel constate qu’une
loi votée par l’Assemblée nationale est intervenue dans le
domaine de compétence d’une collectivité d’outre-mer,
alors l’assemblée délibérante de cette collectivité peut modifier cette loi (article 74).
• D’autre part, l’art. 72-1 prévoit de donner
aux électeurs des collectivités territoriales un droit
d’initiative et la possibilité d’être
consultés par voie référendaire
Nota : Art. 72-1. - La loi fixe les conditions dans lesquelles les électeurs
de chaque collectivité territoriale peuvent, par l'exercice du droit
de pétition, demander l'inscription à l'ordre du jour de l'assemblée
délibérante de cette collectivité d'une question relevant
de sa compétence.
« Dans les conditions prévues par la loi organique, les projets
de délibération ou d'acte relevant de la compétence d'une
collectivité territoriale peuvent, à son initiative, être
soumis, par la voie du référendum, à la décision
des électeurs de cette collectivité.
« Lorsqu'il est envisagé de créer une
collectivité territoriale dotée d'un statut particulier
ou de modifier son organisation, il peut être
décidé par la loi de consulter les électeurs
inscrits dans les collectivités intéressées. La
modification des limites des collectivités territoriales peut
également donner lieu à la consultation des
électeurs dans les conditions prévues par la loi. »
Avec les nouveaux titres XII et XIII de la Constitution, on aboutit
à une sorte de « régionalisation » qui
rapproche la France, État unitaire d’un État
fédéral (où les Etats fédérés
ont un pouvoir législatif et réglementaire). Ce type de
régionalisation existe déjà en Italie et en
Espagne. Déjà, dans près de la moitié des
Etats membres de l’Union européenne ont un pouvoir
législatif.
Nota Italie : dès 1947, la Constitution italienne a divisé l'Italie en 20 régions dotées d'un pouvoir législatif dans des matières nombreuses énumérées à l'article 117 : police locale, assistance publique, médicale, urbanisme, mais dans « les limites des principes fondamentaux établis par les lois de l’Etat ». D’autre part, les régions italiennes peuvent faire des propositions aux chambres pour modifier les lois de la République italienne. La réunion de 5 conseils régionaux peut déclencher un référendum d'abrogation de ces lois. L'abrogation reste cependant exclue en matière financière et fiscale, en matière pénale et à propos des lois de ratification des traités (article 75). Enfin, aux termes de l’article 123, les régions déterminent elles-mêmes leur statut établissant leur organisation intérieure. Cependant une loi de la République doit approuver ces statuts.
Nota Espagne :
En Espagne, l'autonomie régionale, jusqu'où ?
Par Jessica Berthereau, Les Echos.
C'est l'histoire d'un désenchantement. D'un modèle
auparavant porté aux nues, ayant permis l'épanouissement
démocratique d'une Espagne plurielle, après des
années de dictature centralisatrice, mais aujourd'hui
décrié de toute part, et globalement jugé
inefficace, tant sur le plan économique que politique. Alors que
le chef du gouvernement, Mariano Rajoy, se réunit aujourd'hui
avec les présidents des dix-sept régions espagnoles,
espérant envoyer un message d'unité, cet
« Estado autonomico » (Etat autonome) est
maintenant quasi unanimement contesté, certains prônant
une re-centralisation du pays, d'autres sa transformation en
« véritable » Etat fédéral.
La crise est passée par là : les difficultés
des communautés autonomes à maîtriser leurs
finances publiques, la révélation de leurs innombrables
excès durant les années fastes et la recrudescence des
revendications indépendantistes de la Catalogne ont
fissuré la confiance en ce modèle. Selon un récent
sondage de Demoscopia, 8 Espagnols sur 10 pensent que les
communautés autonomes ont contribué au gaspillage et
à l'aggravation de la crise, tandis que 7 sur 10 pensent
qu'elles ont augmenté la bureaucratie et les dépenses
sans améliorer les prestations sociales ni la coexistence entre
les « nationalités et les
régions », reconnues par le fameux article 2 de
la Constitution espagnole de 1978.
La Loi fondamentale reconnaît à la fois
« l'unité indissoluble de la nation
espagnole » et le « droit à
l'autonomie » de ces nationalités et régions.
L'idée, résumée en espagnol par l'expression
« el café para todos » (le café
pour tous), était d'offrir aux nationalités les plus
« fortes », la Catalogne et le Pays basque, un
cadre pour s'épanouir sans pour autant se différencier.
Les régions se sont donc développées de
façon très hétérogène,
récupérant des compétences de l'Etat central
à des rythmes variés. Deux d'entre elles, le Pays basque
et la Navarre, disposent de leur propre Trésor public, ce qui
suscite des jalousies et leur permet de moins contribuer à la
solidarité entre régions. En à peine trente ans,
la décentralisation a été vertigineuse :
alors qu'elles ne géraient que 3,6 % des dépenses
publiques au début des années 1980, les
communautés autonomes en gèrent maintenant plus d'un
tiers.
En résulte un Etat hybride, plus décentralisé que
l'Allemagne, mais moins fédéral que cette dernière
à cause, par exemple, de l'asymétrie entre les
régions ou d'un Sénat ne disposant pas des
caractéristiques d'une Chambre haute fédérale.
Pour la droite, l'Espagne a pris la forme de dix-sept
« mini-Etats », une expression souvent
rabâchée par l'ancien président du gouvernement,
José María Aznar. Elle a son fondement : succombant
au péché d'orgueil, la plupart des communautés
autonomes ont rivalisé de constructions pharaoniques. Chacune
voulait son aéroport, son université proposant toutes les
formations imaginables, son Guggenheim (le célèbre
musée d'Arts moderne et contemporain de Bilbao)... Tant que les
revenus fiscaux liés à la bulle immobilière
affluaient, tout semblait possible. Mais, depuis l'éclatement de
cette même bulle, l'irrationalité économique de la
plupart de ces projets saute aux yeux.
S'ils sont les plus visibles, ces symboles de la démesure
régionale ne sont pas les plus graves. Le principal
problème réside dans l'alourdissement des dépenses
sociales (depuis 2002 toutes les régions ont la
responsabilité de l'éducation et de la santé),
alors que les ressources des régions ont eu plutôt
tendance à diminuer. L'explosion de la bulle immobilière
a en effet causé la disparition de la moitié de leurs
recettes propres, tandis que les transferts de l'Etat central
diminuaient également. Le gouvernement conservateur de Mariano
Rajoy, au pouvoir depuis neuf mois, les a forcées à
réaliser des coupes budgétaires dans ces secteurs
délicats, suscitant une vague de protestations sociales.
Certaines régions blâment le système de financement
et jugent la redistribution des recettes fiscales de l'Etat central
injuste. La Catalogne, qui a opéré des coupes drastiques
dans la santé, estime qu'elle perd ainsi 16 milliards
d'euros chaque année et réclame la même
souveraineté budgétaire que le Pays basque.
Si les critiques du modèle sont quasi unanimes, les solutions
envisagées, elles, sont différentes. La droite au pouvoir
plaide pour une re-centralisation pour en finir avec le mille-feuille
administratif. « Si un Madrilène veut louer un
logement, il peut aller à la Société publique de
location du ministère du Développement, au Bureau de
location de la région de Madrid ou au Bureau du logement de la
mairie », cite en exemple le quotidien de centre-droit
« El Mundo ». Le gouvernement oeuvre
déjà en ce sens, imposant un cadre un peu plus
unifié pour la santé et l'éducation. Dans les
prochains mois, il doit surtout présenter la très
attendue loi sur l'unité du marché. L'existence de
dix-sept législations différentes dans beaucoup de
domaines (immobilier, grande distribution, etc.) complique en
effet la tâche des entreprises et décourage les
investissements étrangers.
La gauche, elle, prône une évolution vers un
« vrai » Etat fédéral et, si
nécessaire, la révision de la sacro-sainte Constitution
en ce sens. Une position qui fait hurler la droite et qui ne
séduit même plus les Catalans. « C'est trop
tard », a récemment déclaré le
président de la Generalitat, Artur Mas, qui a fait voter
l'organisation d'un référendum sur l'indépendance
de la Catalogne, passant outre à l'autorisation de Madrid. Si
les problèmes économiques peuvent éventuellement
se satisfaire d'une rationalisation du système, l'énorme
défi posé par la tentative sécessionniste de la
Catalogne, lui, place l'Espagne au pied du mur et l'oblige à une
réflexion profonde sur son modèle d'autonomie
régionale.
CONCLUSION
Rappelons que la séparation des pouvoirs en tant que principe régulateur
se traduit par une tâche encore à accomplir, qui n’est jamais
terminée. Cette tâche est celle d'éviter que ne se reconcentre
le pouvoir sous toutes ses formes : politique, économique, social.