COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL GÉNÉRAL
Cours écrit par O. CAMY
© Droits de reproduction et de diffusion réservés.
Copyright :bien que l'accès au site soit totalement libre, les données (hors domaine public) demeurent la propriété exclusive de l'auteur. Aucune extraction massive et systématique n'est autorisée. Le format, la version numérique des données, les données elles-mêmes (hors domaine public) sont protégés par les législations nationales et internationales relatives au droit d'auteur, à la propriété intellectuelle.
Sommaire du cours sur la Ve République
(2eme partie)
CHAPITRE
V : LA VEME REPUBLIQUE OU LE REGIME AMBIGU
Section1 : la nature du régime
Contrairement
aux régimes précédents (les IIIème et IVème Républiques), la Vème n'est pas un
régime né de compromis entre tendances ou partis politiques. La Constitution de
la Vème est l'œuvre d'un seul homme, le général de
Gaulle, écrite par ses fidèles partisans comme M. Debré. C'est pourquoi elle
est fondée sur une logique ou un système
juridiques tout à fait cohérents et originaux. Ce système se justifie par une
finalité très claire, très simple : donner enfin à la France un véritable
régime de séparation des pouvoirs adapté à sa mentalité, à sa culture et ses moeurs politiques. Si ce but est atteint, alors seront
reconstruits sur des bases solides des pouvoirs exécutif et législatif forts,
équilibrés et légitimés.
Surtout,
on en finira avec les précédents régimes qui selon M. Debré « ont donné en
droit et en fait la totalité du pouvoir d'État au Parlement » ; ce qui
aboutissait à un « système dangereux et impraticable » qualifié par lui d'« impossible régime d'assemblée ». Le but étant connu, pour
comprendre les moyens que le général de Gaulle va imaginer et mettre en place,
il faut revenir sur l'analyse qu'il fait de la politique française. C'est cette
analyse ou ce diagnostic qui explique réellement la nature profonde de notre
régime.
§1 le
diagnostic
Ce
diagnostic est donné très tôt par le général de Gaulle, notamment dans le
discours de Bayeux du 16 juin 1946. Pour le général de Gaulle, il y a un « mal
français » que les précédents constituants n'ont pas aperçu ou ignoré. Ce mal,
c'est « notre vieille propension gauloise aux divisions et aux querelles ». Par
nature ou tempérament, les français sont portés à se
diviser et oublier les intérêts supérieurs du pays. Les conséquences au niveau
politique sont les suivantes par ordre de conséquence :
- la
division du suffrage (en courants d'opinions irréductibles)
- la
multiplication et la rivalité des partis
-
l'instabilité gouvernementale et institutionnelle
Le
risque ultime est la désaffection des citoyens à l'égard de leur régime et la
tentation de la dictature. Les 3 précédentes Républiques n'ont-elles pas fini
ainsi ? Bien sûr, il est des périodes où les français
savent se rassembler à droite ou à gauche et oublier leurs divisions ; ce qui
conduit à une simplification du système des partis et à une la stabilité
gouvernementale. Mais ces périodes ne sont que provisoires.
§2 les
remèdes
A)
le retour à l'orléanisme :
La
spécificité de ce mal enraciné dans notre psychologie et notre sociologie
justifie que l'on mette en place un parlementarisme original, adapté ; cela
afin que les institutions nouvelles « compensent par elles-mêmes les effets de
notre perpétuelle effervescence politique ». Il nous faut un parlementarisme à
la française différent du parlementarisme à l'anglaise partout appliqué en
Europe ; ce dernier ne pouvant qu'échouer en France car il est tout entier fondé
sur l'existence d'un suffrage universel non divisé conduisant à un système de
partis simple, efficace et finalement à la stabilité gouvernementale. Ce qui
est une situation rare, voire exceptionnelle en France.
Le
parlementarisme à la française sera un parlementarisme orléaniste qui donne au
Chef de l'État un rôle essentiel, celui d'arbitre ; un arbitre qui incarne
naturellement l'intérêt national, préserve la séparation des pouvoirs et doit
être le garant ultime de la survie de l'Etat et de
son régime. Ce qui implique qu'il peut entrer dans le domaine gouvernemental
mais aussi parlementaire sans pour autant se substituer au Premier ministre et
au Parlement.
Le
général de Gaulle trouve donc la solution dans notre histoire en revenant à une
formule déjà utilisée par Louis Philippe (sous la Monarchie
de Juillet) ou encore Mac Mahon (sous la IIIème république jusqu'à la crise de
1877). Peut-être aurait-il pu trouver la solution à l'étranger en se référant
notamment au régime présidentiel américain. Les américains
n'ont-ils pas réussi à instaurer une séparation des pouvoirs rigoureuse avec un
Chef d'État élu au suffrage universel capable de parler au nom de tous ?
B) la
tentation d'imiter le régime présidentiel :
La
tentation d'imiter le régime présidentiel a sans doute existé et continue
d'exister chez les gaullistes (cf. Ms Seguin, Balladur). M. Debré dans son
discours du 27 Août 1958 reconnaît les qualités de ce régime. Mais deux
raisons, l'une conjoncturelle, l'autre structurelle s'opposaient en 1958 à ce
que les gaullistes aillent vers cette solution.
a)
conjoncturelle : le régime présidentiel à l'américaine exige qu'on fasse élire
au suffrage universel le Président ; mais compte tenu de la composition du
corps électoral, il y avait deux risques que ne voulaient pas courir les
gaullistes :
-
qu'un candidat communiste soit élu
-
qu'un candidat élu soit minoritaire en métropole et majoritaire dans les
ex-colonies.
b)
structurelle : il fallait mettre en place une séparation sticte
; cela supposait le non respect
de la loi constitutionnelle du 3 juin qui exigeait la mise en place d'une
responsabilité obligatoire du Gouvernement. Le général de Gaulle lors du débat
du 2 juin à l'Assemblée Nationale sur la loi constitutionnelle déclarait :
"Ce texte spécifie que le Gouvernement doit être responsable devant le
Parlement, ce qui est incompatible avec un régime présidentiel... Le futur
Président de la République ne pourra se confondre avec le Chef du Gouvernement,
puisque celui-ci sera responsable devant le Parlement". De plus, cela
supposait que l'on trouve un remède aux inconvénients (blocages, conflits...)
propres à ce type de séparation.
Voilà pourquoi la solution du parlementarisme orléaniste fut préférée. Solution que l'on trouve tout entière ou presque dans le discours de Bayeux. Mais de Gaulle et M. Debré ne revendiquent pas explicitement cette étiquette : ils se contentent d'insister sur la nature parlementaire du régime. Ils admettent cependant que l'autorité donnée au Chef de l'État constitue une innovation. Cette innovation est porteuse d'ambiguïtés qui continuent de troubler les commentateurs.
§3 : les
ambiguïtés du nouveau régime :
A)
Ambiguïté quant au rôle du chef de l'Etat :
Le
président « arbitre » doit-il se contenter de diriger l'Etat
ou peut-il diriger l'action gouvernementale? Doit-il
inspirer un programme gouvernemental ou dans certains cas s'y opposer ? Le
président peut-il demander au gouvernement de démissionner ? Il faut
reconnaître que la Constitution ici ne donne pas de réponse nette et laisse
donc à la pratique [ou encore aux conventions de la Constitution] jouer un
grand rôle.
B)
Ambiguïté quant à la nature du régime :
Compte
tenu du rôle important du chef de l'Etat qui sera élu
au suffrage universel, ne faut-il pas admettre que le régime a des traits du
régime présidentiel ? Ce qui justifie l'expression de M. Duverger qui parle de
« régime semi-présidentiel ». Mais la présence des facultés de révocation est
incompatible avec l'idée de régime présidentiel. Compte tenu du fait que le
gouvernement peut se sentir responsable devant le président (notamment dans les
périodes de concordance entre majorité présidentielle et parlementaire), ne
faut-il pas parler de régime parlementaire « dualiste » ? Mais le dualisme n'a
pas été instauré par la Constitution. La Premier ministre est libre
juridiquement de refuser de donner sa démission au président. Le président ne
peut que faire pression sur lui s'il en a les moyens politiques pour l'inviter à partir.
On ne
peut que suivre l'opinion de M. Goguel qui dira : « Le régime établi n'entre dans aucune
catégorie ». Quant au général de Gaulle lui-même, il avait déclaré lors de la
conférence de presse du 11 avril 1962 : « Je sais bien qu'il y a des
exégètes qui s'incommodent de ne pouvoir faire entrer la Constitution dans l'un
des deux moules rigides qui seraient, à les en croire, les seules conceptions
possibles pour les institutions de la France... Disons si vous voulez que notre
Constitution est à la fois parlementaire et présidentielle, à la mesure
de ce que nous commandent à la fois les besoins de notre équilibre et les traits
de notre caractère ».
Nota : pour la plupart des observateurs de l'époque (1958), la Constitution ouvrait la possibilité de deux phases successives, normalement prévisibles : la première phase avec de Gaulle, Président de la République ; sa personnalité dominera le fonctionnement des institutions ; et la seconde phase, quand de Gaulle ne sera plus (quand l'affaire algérienne sera réglée), c'est un régime parlementaire qui pourrait revenir à la IIIème République telle qu'on l'avait conçue à l'origine
§4 la
rupture avec les précédents régimes parlementaires :
Précisons
en quoi la formule choisie par le général de Gaulle prétend répondre aux
problèmes rencontrés par les précédents régimes (instabilité gouvernementale,
gouvernement d'assemblée cachant une partitocratie..)
et doit provoquer une rupture avec ces régimes. Le système juridique
originel de la Vème a au moins trois objectifs qui
manifestent cette rupture :
a)
l'équilibre et la stabilité du régime ne doivent plus dépendre du seul suffrage
universel tel qu'il s'exprime à travers les élections législatives.
b) le
pouvoir législatif ne doit plus être souverain. En conséquence les autres
pouvoirs exécutif et judiciaires ne doivent plus procéder de lui.
c) les
partis politiques ne doivent plus décider de la composition et du programme du
Gouvernement.
a) le
résultat des élections législatives ne doit plus être essentiel. Si ces
élections conduisent à un multipartisme intégral, à l'apparition de majorités
fragiles et hétéroclites (comme sous les précédents régimes), le Gouvernement
sera affaibli mais il pourra compter sur les armes fournies par la
rationalisation et en principe sur un Président arbitre titulaire de pouvoirs
essentiels (pouvoirs qui sont par exemple le droit de dissolution utilisable
sans contreseing (art 12) ou le recours au référendum ordinaire ou
constitutionnel (art 11 et 89)...). Ces compétences
sont à mêmes de dissuader le Parlement de s'opposer systématiquement au
Gouvernement. Le président de la République devient selon l'expression de M.
Debré la "clef de voûte " du régime. C'est de lui dont dépendent la
stabilité et l'équilibre du régime.
Reconnaissons
que cette hypothèse anticipée en 1958 ne s'est pas réalisée. Il n'est pas exclu
cependant qu'une telle situation se produise compte tenu de l'effritement
constaté dans les périodes récentes des majorités de droite et de gauche et le développement de partis qui sont en
dehors du jeu politique classique (cf. le Front national, les verts).
L'hypothèse qui est intervenue et qui, elle n'avait pas été anticipée par le
constituant : c'est bien sûr la cohabitation. Or, il apparaît aujourd'hui
que le régime a su résister à cette épreuve et n'a pas sombré dans
l'instabilité. Le résultat des élections n'est donc pas
essentiel.
(Mais
cela suppose que le Président tienne ici scrupuleusement son rôle d'arbitre. Le
Président doit être neutre pour pouvoir s'interposer. Cela
est un peu une utopie à partir du moment où le Président est élu au
suffrage universel depuis 1962. Il représente en effet tout un camp politique
et a beaucoup de mal à prétendre incarner un intérêt général abstrait).
b) le
pouvoir législatif ne doit plus être "souverain".
La
Constitution de la Vème République exclut le régime d'assemblée pour au moins
deux raisons juridiques :
1° au dessus du Parlement, il y a maintenant le Président de
la République dont émane le Gouvernement. L'investiture parlementaire est
remplacée par une investiture présidentielle. C'est le Président qui nomme le
Premier ministre (art 8) après l'avoir choisi librement en droit ; ce dernier
peut composer son Gouvernement qui entrera en action sans autorisation
parlementaire préalable. Certes le Gouvernement devra obtenir la confiance
d'une majorité de députés (mais après sa nomination) pour pouvoir faire adopter
ses lois et ne pas être renversé. Mais il n'est plus complètement dépendant de
cette majorité.
Il reste
que cette dépendance continuera à persister notamment dans les périodes de cohabitation où le gouvernement doit rechercher un
appui avant tout au Parlement plutôt qu'à l'Elysée.
2° d'une autre manière, le pouvoir législatif dont maintenant tenir compte de la tutelle du pouvoir judiciaire avec la création d'une Cour constitutionnelle ; celle-ci pourra contrôler la constitutionnalité de la loi (art 61). Certes, la IVème république avait institué un Comité constitutionnel chargé de vérifier l'adéquation de la loi à la Constitution. Mais en cas de contradiction, c'était la Constitution qui devait être modifiée. Selon l'article 93 de la Constitution de 1946, "la loi qui, de l'avis du Comité, implique une révision de la Constitution, est renvoyée à l'Assemblée Nationale pour nouvelle délibération. Si le Parlement maintient son premier vote, la loi ne peut être promulguée avant que la présente Constitution n'ait été révisée..."
c) les
partis politiques ne doivent plus contrôler le fonctionnement de l'Exécutif et
plus globalement le fonctionnement du régime. Selon l'article 4, ils doivent se
contenter de "concourir à l'expression du suffrage". Bien sûr, ils
feront beaucoup plus en fait mais le retour à la
partitocratie semble impossible.
Deux
éléments juridiques permettent d'expliquer ce pronostic qui s'est réalisé :
- le
passage au scrutin majoritaire à 2 tours pour l'élection des députés et en 1962
du Président de la République ; cela favorise aux élections législatives un
phénomène de bipolarisation (apparition de 2 grandes pôles politiques droite
gauche avec des alliances électorales des grands partis et sous
représentation des petits partis) et par conséquent à l'Assemblée un
phénomène majoritaire. Du coup, le Premier ministre n'est plus l'otage de petits partis pour composer son Gouvernement. Cela
dit un mode de scrutin ne peut pas tout...
- le
passage à une investiture présidentielle ; cette investiture contrairement aux investitures
parlementaires des III et IVème Républiques ne peut plus être contrôlée par les
partis politiques. Certes, il peut arriver que le Président ait été un chef de
parti ou conserve une influence sur certains partis mais il ne pourra choisir
son Premier ministre au regard de ses seules préférences partisanes sauf à nier
la logique parlementaire du régime. Le Premier ministre doit aussi avoir la
confiance de l'Assemblée. C'est encore plus vrai en période de cohabitation.
§5 les
risques inhérents au nouveau régime :
La
logique du régime que nous venons de formaliser a une
caractéristique essentielle : la Vème République doit pouvoir être un régime
stable, respectueux de la S des P sans dépendre de la réunion de conditions
politiques (résultat des élections législatives, systèmes des partis...).
Cependant, le destin du régime peut être hypothéqué par la réalisation de deux
risques politiques :
A le
premier risque concerne le rôle du chef de l'Etat :
il faut que le Président s'en tienne à son rôle d'arbitre (art. 5). Or
l'arbitrage implique nécessairement deux choses très difficiles à mettre en œuvre : neutralité et non interventionnisme.
-
Neutralité : le président est censé être selon une vieille expression de B.
Constant un "pouvoir neutre". Il doit se tenir sur la réserve,
s'engageant le moins possible dans le jeu partisan et ne s'identifiant pas à
tel parti, à telle option idéologique.
- Non interventionnisme : le président ne doit pas s'impliquer
dans l'action gouvernementale ou législative dans ce qu'elles ont de partisan,
de quotidien. Placé au dessus des autres
pouvoirs et des partis politiques, il doit être en charge uniquement de
l'essentiel intervenant pour faire respecter les institutions, définir les
objectifs à long terme (article 5) ou en cas de confusion, crise grave sauver
l'État et son régime (article 16).
Si le
chef de l'Etat ne s'en tient pas à ce rôle, alors
l'équilibre et la stabilité du régime se trouvent menacés. Or il se trouve que
tout au long de la Vème République, on a pu constater que les présidents en
titre ont été tentés de sortir de leur rôle d'arbitre ; cela que ce soit en
période normale (concordance entre les majorités présidentielle et
parlementaire) ou durant les cohabitations. Dans le premier cas, le chef de l'Etat s'est comporté en véritable chef de l'Exécutif
empiétant sur les pouvoirs du gouvernement (au risque du présidentialisme).
Dans le deuxième cas, affaibli il a été tenté de jouer un rôle de contre pouvoir face au gouvernement issu d'une majorité
différente de la sienne (au risque de l'instauration d'une dyarchie discordante
au sommet de l'Etat).
B le deuxième risque concerne le rôle du Parlement : la Constitution de la Vème République a multiplié les précautions pour éviter un retour à l'instabilité parlementaire connue sous la IVème, IIIème République... Modification du mode de scrutin, renforcement de la rationalisation (qui permet au gouvernement de maîtriser la procédure parlementaire cf. les nouvelles armes : le vote bloqué, le fameux 49-3...), nouvelles compétences données au Président d la République dont la dissolution. On a donc tout prévu pour maîtriser le parlement sauf cette situation qui s'est effectivement réalisée : l'apparition de majorités claires soudées, disciplinées à droite comme à gauche par le jeu normal des élections. Résultat : l'Exécutif s'est trouvé surarmé et le Parlement affaibli durablement. Le risque est donc un déséquilibre des pouvoirs au détriment du Parlement ; déséquilibre qui s'est confirmé tout au long de la Vème République et auquel on a timidement essayé d'apporter des remèdes.
Bilan :
vers une VIème République ?
La Vème
république a atteint un de ses objectifs majeurs : mettre en place un cadre
favorisant la stabilité politique, institutionnelle. L'instabilité notamment
parlementaire pouvant générer des crises ministérielles à répétition n'est plus
un souci, une obsession du corps politique ou de la Nation. Cependant la Vème
République a échoué dans sa tentative d'instaurer un véritable équilibre des
pouvoirs. Deux raisons :
- l'une
ancienne : depuis 1958, l'affaiblissement du Parlement qui s'est trouvé
abaissé, incapable d'assurer pleinement son rôle législatif et surtout de
contrôle. On verra que malgré certaines réformes constitutionnelles récentes,
le mal est toujours là.
-
l'autre récente : depuis 1986 et la première cohabitation, on constate que le
rôle et surtout l'autorité du président peuvent connaître des variations
considérables. Le président a pu jouer
pendant 28 ans le rôle prééminent de chef de l'Exécutif à l'américaine et
puis avec la situation de cohabitation devoir complètement abandonner ce
rôle au risque d'être réduit à l'inaction surtout en politique intérieure. Ces
deux situations certes ne violent pas la lettre de la Constitution mais ne
correspondent pas à son esprit. Où est le
président arbitre, médiateur et visionnaire voulu par le G. de Gaulle ? Dès
lors est apparu un risque réel d'affaiblissement de la fonction présidentielle
qui avait été jugée surpuissante jusqu'en 1986 et de déséquilibre au sein de
l'Exécutif.
Voilà pourquoi le débat sur une réforme du régime
s'est trouvé relancé à partir des années 90. On veut à la fois renforcer le
Parlement et préserver le pouvoir présidentiel de nouveaux changements liés aux
élections législatives. L'échec de la dernière dissolution voulue par le
Président Chirac a fini de démontrer que la Vème République pouvait
s'installer durablement dans un système de cohabitation ; hypothèse
qui était toujours apparue jusque là comme une
situation soit impossible (avant 1986), soit exceptionnelle (depuis 1986). Or
la cohabitation provoque certains dysfonctionnements au sein de l'Exécutif dont
on ne peut souhaiter qu'ils durent (rivalité entre le Chef d'État et le Premier
ministre qui s'accroît avec les échéances électorales, désaccords sur la
gestion de dossiers internationaux et surtout de politique intérieure...).
Quelle
solution ? certains ténors gaullistes sont revenus à l'idée du régime
présidentiel ; à gauche l'hypothèse d'un régime parlementaire moniste à
l'anglaise n'a jamais été abandonnée comme l'a rappelé le débat récent lors des
élections présidentielles. Une solution de compromis a été trouvée avec la
réduction du mandat présidentiel à 5 ans. Sans doute cette réforme a l'avantage
de rendre plus improbables les cohabitations. Mais curieusement, les effets de
cette réforme sur le fonctionnement du régime, sur sa nature profonde, les
risques encourus ont été à peine envisagés. Dès lors les partisans de la VIème
République n'ont pas anticipé la possibilité d'un tournant "hyper présidentiel"
de la Vème République ; tournant qui a eu lieu suite à
l'élection de N. Sarkozy. Un effet imprévu de la réduction du mandat
présidentiel et de la coîncidence des mandats
parlementaire et présidentiel... Le chantier de la réforme de la Vème
République n'est pas prêt d'être terminé !
---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
Nota :
précisons que la Vème République malgré l'originalité de son régime (qui
ressemble quand même à celui du Portugal, de la Pologne aujourd'hui) possède de
nombreux traits communs avec les régimes précédents. Il y a continuité au moins
sur deux points, l'un par rapport à la IVème, l'autre par rapport à la IIIème :
- la
rationalisation : l'idée de la rationalisation n'est pas abandonnée même si on
ne compte plus sur elle seule pour garantir la stabilité
gouvernementale comme sous la IVème République. La rationalisation est même
renforcée. On notera par exemple :
1
l'apparition d'un strict régime de sessions parlementaires ; le Parlement ne
peut plus se réunir comme il le veut ; ce n'est plus un organe permanent de la
vie politique. Il y a deux sessions prévues en 1958 ; l'une à l'automne
destinée au budget, l'autre de printemps destinée au
travail législatif ordinaire. Depuis une révision constitutionnelle du 4 août
1995, il existe une session unique mais dont le début (octobre) et la fin
(juin) sont fixés par la Constitution et non par le Parlement.
2 la
délimitation d'un domaine pour la loi (art 34) ; la loi ne peut plus tout faire
; certaines matières, il est vrai les plus importantes lui sont réservées.
3 la
procédure législative peut être maîtrisée par le Gouvernement. Il faut noter
par exemple les deux nouveautés que sont le vote bloqué (soit la possibilité
pour le Gouvernement de demander le passage au vote sur un texte en ne retenant
que les amendements qu'il désire) ou encore le fameux 49.3 (soit la possibilité
pour le Gouvernement d'engager sa confiance sur un texte et en cas de non dépôt
de motion de censure de l'opposition de voir ce texte adopté sans vote de
l'Assemblée nationale)
4 la mise
en place des incompatibilités parlementaires: un ministre ne peut être aussi
parlementaire. Il doit obligatoirement choisir entre les deux fonctions.
- par
rapport à la IIIème république, c'est l'orléanisme d'avant la crise du 16 mai
1877. On peut dire que De Gaulle a réussi là où Mac Mahon avait échoué. Avec la
Constitution de 1958 il y a à la fois :
* un
rejet défi de la "Constitution Grévy" : le Président de la
République retrouve les pouvoirs que les lois de 1875 lui donnaient à l'origine
; notamment le droit de dissolution et de nommer le Chef du Gouvernement... On
peut même dire qu'il y a extension de ces pouvoirs avec le droit de recourir au
référendum ou aux pouvoirs exceptionnels de l'art 16. Comme l'avait souhaité
Mac Mahon, le Président retrouve un rôle régulateur qui lui est donné parce
qu'il peut parler au nom de la nation toute entière.
Attention, cela ne fait pas de lui un Chef d'Exécutif ou encore un super chef
du Gouvernement. Selon la Constitution de 1958, le Président doit laisser le
champ libre à son Premier ministre et à son Gouvernement qui selon l'art 20
"détermine et conduit la politique de la nation". Il est vrai que la
pratique comme nous le verrons divergera beaucoup de la lettre de la
Constitution particulièrement sur ce point.
* la
reconnaissance du dialogue entre le Président et la Nation. Mac Mahon se
voulait seul responsable devant la Nation, faisant appel à elle pour régler un
conflit entre deux pouvoirs. C'est dans ce sens qu'il eut recours au droit de
dissolution en 1877.
De la
même façon, le président sous la Vème république est responsable uniquement
devant le peuple et non devant le Parlement. Une motion de censure ne peut
l'atteindre sauf peut-être indirectement. Il n'est pas obligé de démissionner
si l'opposition remporte les élections législatives par exemple. Le Président
élu pour 7 ans comme sous la IIIème n'est responsable que s'il se représente
pour un second mandat. De Gaulle ajoutera le cas du référendum en pratique.
Enfin, le Président peut recourir à la dissolution ou au référendum pour
demander au peuple son avis.
La seule
innovation par rapport à la IIIème république, c'est que le Président bénéficie
d'une légitimité plus forte grâce à son élection au suffrage universel. Le
cadre dualiste est maintenu mais avec l'apport démocratique ou césariste du
suffrage universel. C'est cela qui fait que notre régime a un côté hybride ; il
est parlementaire mais aussi un peu présidentiel avec cette légitimité du
Président.