COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL GÉNÉRAL
Cours
écrit par O. CAMY
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STATUT
ET COMPETENCES DU GOUVERNEMENT SOUS
LA V REPUBLIQUE
a) Statut
b) Compétences
Le Gouvernement, d'après la
Constitution de la Vème République, a une identité
ambigüe, voir contradictoire. on peut le concevoir aussi bien comme
:
- un "cabinet parlementaire" ; ce
qui est confirmé à la fois par l'article 49 qui rend le Gouvernement
responsable politiquement devant l'Assemblée Nationale et l'article
20 qui lui confie la compétence générale de déterminer
et conduire la politique de la Nation. Cette dernière compétence
signifiant que le Gouvernement doit fixer les objectifs de la politique
nationale et doit mettre en œuvre les moyens pour atteindre ces objectifs.
- un "organe second", procédant
du Président de la République et obligé d'appliquer
les grandes directives présidentielles. Cette instrumentalisation
du Gouvernement découle du statut éminent du Président
de la République. Ce dernier élu au suffrage universel direct
et en charge des intérêts vitaux de la Nation est forcément
au dessus du Premier ministre et des ministres sur un plan fonctionnel
et hiérarchique.
La contradiction se dissout si l'on
admet qu'il peut exister une répartition verticale des domaines
d'action entre Président et Gouvernement. Cela signifie que dans
certains domaines (essentiellement ceux qui concernent la protection de
l'État et de son régime constitutionnel), le Gouvernement
n'aurait qu'un rôle de collaborateur, voire d'exécutant car
le Président exercera un droit d'animation et de contrôle.
Par contre, dans d'autres domaines (pour tout le reste qui est le moins
important mais le plus étendu), le Gouvernement peut prétendre
être complètement autonome ; il peut même faire
pression sur le Président grâce aux pouvoirs partagés.
C'est la seule solution mais elle est problématique.
En effet, comme la Constitution ne met pas elle-même en place cette répartition
(elle prévoit seulement une répartition entre pouvoirs présidentiels
soumis ou non à contreseing), des variations considérables pourront
exister selon les périodes, le contexte... dans les relations Président/
gouvernement.
Après avoir esquissé
les caractéristiques générales du Gouvernement de
la Vème République, il convient de préciser son statut
et ses compétences.
a) Statut
Nous insisterons sur 4 aspects:
1 nomination:
rappelons que le Président de la République nomme le Premier ministre
sans intervention du Parlement ou encore des partis politiques. D'autre part,
le rôle de coordonnateur du Premier ministre et sa supériorité
sur les autres ministres se manifestent par le fait que les ministres sont nommés
par le Président de la République sur proposition du Premier ministre
(et avec son contreseing).
2 la hiérarchie
gouvernementale: contrairement à ce qui était prévu
par les précédentes Républiques, il existe une différenciation
hiérarchique très nette entre les ministres qui résulte
non de la Constitution ou de la loi mais de l'usage politique.
Le Premier ministre est bien le premier
des ministres comme cela se déduit de l'article 21 qui lui confie seul
le soin de diriger l'action du Gouvernement.
On trouve ensuite par ordre décroissant
selon l'usage :
. le ministre d'État : c'est un privilège
plus personnel que fonctionnel(simple titre honorifique). Sous les III et IVèmes
Républiques, ce titre signalait le poids politique d'un ministre qu'on
voulait associer au Gouvernement pour obtenir le soutien de tel ou tel parti
politique.
. le ministre : c'est le ministre ordinaire
dont le titre lui permet cependant de participer de droit au Conseil des ministres.
Il reste que le Ministre de l'Économie et des Finances compte tenu de
ses attributions a autorité sur tous les autres ministres dits "dépensiers".
On a essayé de casser cette autorité en confiant ses attributions
soit à deux ministres (économie et budget), soit au Premier ministre
(Cf. R. Barre).
. le ministre délégué
: en principe, il s'agit d'un ministre qui ne peut agir que par délégation
du Premier ministre. Ex: le Ministre délégué à
la Fonction publique, aux relations avec le Parlement, au plan... Cela
permet au Premier ministre de se concentrer sur ses seules tâches
de direction et de coordination gouvernementale.
Depuis 1981, on a vu apparaître
des ministres délégués auprès d'un simple ministre.
La participation au Conseil des Ministres de ces Ministres ne semble pas
être de plein droit.
. le secrétaire d'État
: très dépendant, généralement du Premier ministre
ou d'un simple ministre, le Secrétaire d'État n'agit que
par délégation. Ils ne peuvent signer ou contresigner seuls
aucun décret.
Il faut noter que sont apparus de
façon temporaire sous la Vème République des "sous
Secrétaires d'État" : les Secrétaires d'État
autonomes en 1974 et en 1986. Ils étaient presque exclus du Conseil
des Ministres.
3 les incompatibilités
gouvernementales
Pour des raisons de moralité,
un ministre pour exercer sa charge peut être amené à
renoncer à exercer sa profession antérieure qu'elle concerne
le secteur privé ou le secteur public. Ces incompatibilités
sont prévues par l'article 23.
* secteur privé : l'incompatibilité
est générale avec l'exercice de toute activité professionnelle
ou de toute fonction de représentation professionnelle. (ex avocat
et garde des Sceaux). En conséquence, un membre du Gouvernement
qui vient d'être nommé doit choisir les deux types d'activité.
* secteur public : il faut distinguer
entre :
- une fonction publique nominative
: règle du non cumul (ex au plan national: membre du Conseil constitutionnel
ou Conseil Économique et social...; ou au plan européen de
la Commission...)
- une fonction publique élective
: règle du cumul (ex conseiller municipal, général,
régional) sauf pour les mandats nationaux ou européens (ex
député, sénateur ou membre du Parlement européen).
Cette dernière exception prévue
par l'article 23 doit être soulignée. En effet, l'incompatibilité
entre les fonctions de ministre et celles de membre d'une Assemblée
rompt avec la tradition Parlementaire. Selon cette tradition, les ministres
sont aussi députés ou sénateurs de façon à
ce que le Gouvernement puisse jouer un rôle de liaison entre Exécutif
et Législatif. C'est une des conséquences du principe de
collaboration entre les pouvoirs en Régime parlementaire.
Le général de Gaulle
a justifié une telle rupture avec la tradition en invoquant la nécessité
de moraliser le vie publique. On ne peut disait-il être à
la fois contrôleur et contrôlé. Un choix est nécessaire
de façon à éviter une espèce de "double jeu"
de ministres qui seraient solidaires du Gouvernement et des partis politiques;
il est nécessaire aussi pour permettre que le Gouvernement ne procède
plus du Parlement.
En pratique, cette incompatibilité
a été tournée notamment en raison du rôle joué
par les députés suppléants. Ainsi, un député
désigné comme ministre se fera remplacer au Parlement par
son suppléant. Ce dernier démissionnera lorsque le ministre
voudra retrouver son siège de député. Une élection
partielle sera organisée qui permettra au ministre de redevenir
parlementaire.
4 les formations gouvernementales
:
Ce sont les différentes manières
pour le Gouvernement de se réunir.
1) Conseil des Ministres : il a lieu selon
l'article 9 sous l'autorité du Chef de l'État qui décide
de sa convocation et de sa composition. C'est la réunion la plus importante
et la plus fréquente du Gouvernement compte tenu du rôle joué
par le Président sous la Vème République et des décisions
qui peuvent intervenir en son sein.
L'ordre du jour est proposé
par le Premier ministre, arrêté par le Président de
la République. Il comprend trois parties:
- la partie A comprend les projets
de loi, d'ordonnances et de décret pour lesquels il n'y a pas lieu
à délibération (on entérine les résultats
de la coordination en amont)
- la partie B concerne les mesures
individuelles et ne donne pas lieu à délibération
en principe
- la partie C est réservée
aux communications des ministres et traditionnellement celle du ministre
des Affaires étrangères.
2) Conseil de Cabinet : c'est la réunion
de tous les membres du Gouvernement sous l'autorité du Premier ministre.
Il n'a pas été utilisé sous la Vème République
sauf pendant la cohabitation et les périodes d'intérim.
3) Conseil restreint : le Président
réunit certains membres du Gouvernement sur un sujet précis pour
prendre les arbitrages les plus importants. Certains conseils restreints sont
prévus par la Constitution elle-même (notamment dans le domaine
militaire art.15).
4) Comité interministérie l:
le Premier ministre réunit à Matignon certains membres du Gouvernement
afin de rendre ses propres arbitrages. Un collaborateur du Chef de l'État
assiste généralement à ces réunions. Cependant,
appel peut être interjeté par un ministre désavoué
auprès du Conseil restreint.
5) Réunion interministérielle
: un membre du Cabinet du Premier ministre réunit certains membres des
ministères (collaborateurs du Ministre, Chef d'Administration centrale...)
concernés par un projet.
b)
compétences du Gouvernement
Il est habituel de distinguer entre
:
- les compétences du Gouvernement
en tant que tel
- les compétences du Premier
ministre
1 les compétences
du Gouvernement (en tant qu'entité collective)
Le Gouvernement sous la Vème République
a comme tout cabinet parlementaire des compétences qu'il exerce de façon
collégiale. En conséquence, les membres du Gouvernement peuvent
exercer des pouvoirs qu'ils n'ont pas individuellement.
Ces pouvoirs découlent essentiellement
de l'article 20 qui là encore marque une rupture avec les précédents
régimes. En effet, cet article manifeste la volonté des constituants
de transférer le pouvoir de décision an sein de l'État
du Parlement au Gouvernement (sous réserve bien sûr des compétences
suprêmes du Président de la République). Dans ce but, l'article
20 permet au Gouvernement de fixer les objectifs et priorités de l'action
de l'État. Il lui donne aussi certains moyens d'action essentiels.
- moyens d'action vis-à-vis de l'Administration
et de l'Armée :
L'article 20 précise de façon
presque autoritaire que le Gouvernement "dispose" de l'Administration et de
la force armée. Cela signifie que le Gouvernement peut exercer un pouvoir
hiérarchique à l'égard des services administratifs et de
l'Armée. Pour l'Administration, on distinguera entre les services centraux
sur lesquels le Gouvernement a une autorité directe et les services déconcentrés
sur lesquels le Gouvernement agit par l'intermédiaire des Préfets.
- moyens d'action vis-à-vis du Parlement
:
Conformément à l'idée
de rationalisation du parlementarisme, le Gouvernement dispose de nombreux moyens
de pression sur le Parlement ; moyens de pression qui lui permettent d'espérer
maîtriser le processus d'élaboration de la loi. Nous les étudierons
précisément dans les développements consacrés au
Parlement. Mentionnons, à titre de pierres d'attente, les principaux
moyens :
----- priorité du Gouvernement dans
la fixation de l'ordre du jour des assemblées (art. 48)
----- déclaration de l'urgence pour
accélérer le vote d'un projet ou d'une proposition de loi (art.45)
----- propose ou refuse des amendements (art.
41 et 45)
----- possibilité de donner le dernier
mot à l'Assemblée Nationale en cas de désaccord entre les
deux Chambres (art. 45)
----- autorise le Premier ministre après
délibération en Conseil des Ministres à engager la responsabilité
du Gouvernement sur son programme (ou une déclaration de politique générale)
art 49-1 ou sur le vote d'un texte art. 49-3
Ajoutons qu'à titre exceptionnel, le
Gouvernement peut même se substituer au Parlement dans l'élaboration
de la loi : il s'agit de la procédure des ordonnances prévue à
l'article 38
2 les compétences
personnelles du Premier ministre
Le Premier ministre dépositaire
de la confiance du Chef de l'État et d'une majorité parlementaire
est le véritable Chef du Gouvernement même si dans les domaines
prévus à l'article 5, le Président bénéficie
d'une autorité incontestée. Il n'est en aucun cas un simple
collaborateur du Président qui ne ferait qu'exécuter les
directives présidentielles ou s'effacerait lorsque le Président
déciderait d'entrer dans le domaine Gouvernemental. Cette autonomie
du Premier ministre qui en pratique n'apparaît pleinement qu'en période
de cohabitation découle avant tout de l'article 21-1: "Le Premier
ministre dirige l'action du Gouvernement. Il est responsable de la Défense
Nationale".
Cela implique plusieurs choses :
- le Premier ministre va s'assurer
de l'exécution par tous les membres du Gouvernement d'un programme
qu'il a arrêté en liaison avec la majorité Parlementaire
et le Président.
- le Premier ministre joue un rôle
de coordination et de sanction vis-à-vis des autres membres du Gouvernement
(ministres et secrétaires d'État):
La coordination se traduit comme
nous l'avons vu par des arbitrages très nombreux rendus notamment
en Comités interministériels. Ajoutons que le Premier ministre
adresse aux ministres des instructions, contresigne les principaux textes
(projets de lois, décrets réglementaires) émanant
des différents ministères et secrétariats d'États.
La sanction se manifeste par
l'autorité hiérarchique que détient le Premier ministre
sur les autres membres du Gouvernement: il peut ainsi proposer au Président
la destitution d'un ministre; cela en fonction des résultats obtenus
ou du manque de solidarité du ministre avec l'équipe Gouvernementale.
Pour jouer pleinement ce rôle
d'animateur du Gouvernement, la Constitution a doté le Premier ministre
de compétences personnelles étendues. Il faut distinguer
entre les compétences que le Premier ministre détient par
rapport :
--------- au Président de la
République:
- dans les circonstances exceptionnelles,
le Premier ministre peut se substituer au Chef de l'État. Il pourra
ainsi diriger le Conseil des Ministres ou encore les Conseils et Comités
supérieurs de la Défenses Nationale en cas d'empêchement
momentané du président de la République (art.
21).
- dans les circonstances normales
:
* le Président est tenu de
recueillir l'avis du Premier ministre en cas de dissolution de l'Assemblée
Nationale ou de déclenchement de l'article 16.
* le Président a besoin
de la proposition du Premier ministre :
- pour convoquer une session extraordinaire
du Parlement,
- pour enclencher la procédure
de révision la Constitution (art. 89)
et de la proposition du gouvernement
:
- pour organiser un référendum
ordinaire (art. 11).
* le Premier ministre partage avec
le Président à la fois le pouvoir réglementaire et
le pouvoir de nomination des hauts fonctionnaires. Dans le premier cas,
le Premier ministre bénéficie d'un pouvoir réglementaire
de droit commun : soit le pouvoir de faire des règlements en application
de la loi (art. 21) ou en dehors du domaine de la loi (art. 37-2). Dans
le second cas, le Premier ministre nomme aux emplois civils et militaires
qui ne sont pas "supérieurs" (art. 21).
Rappelons pour terminer que le Premier
ministre selon l'article 19 contresigne certains des actes du président
de la République ; ce qui doit lui donner la possibilité
dans un sens positif d'exercer en commun avec le Chef d'État certaines
prérogatives gouvernementales (notamment en matière de défense)
; dans un sens négatif, le contreseing doit lui permettre d'exercer
d'un droit de veto.
-------- au Parlement :
Même si c'est le Gouvernement qui collectivement
détient l'essentiel des moyens de pression sur le Parlement, le Premier
ministre bénéficie de certaines compétences personnelles
qui lui permettent lui aussi de peser sur le Parlement. Nous aurons l'occasion
de détailler ces compétences lors de l'étude du Parlement.
Mais là encore, à titre de pierres d'attente, nous pouvons faire
la liste des compétences personnelles du Premier ministre.
- le Premier ministre partage l'initiative
des lois avec les parlementaires (art. 39). Cela signifie que le Premier ministre
signe le décret de présentation des projets de loi qui seront
déposés sur le bureau de l'une des deux Assemblées après
avoir été délibérés en Conseil des Ministres.
C'est donc sous son autorité et avec son accord que les projets de loi
sont élaborés et finalement soumis au Parlement. Un ministre ne
peut seul déposer un projet de loi.
- le Premier ministre peut provoquer la réunion
d'une commission mixte paritaire composée de députés et
de sénateurs en cas de désaccord entre les deux Chambres (art.
45). Très exactement, le Premier ministre a la faculté de convoquer
cette commission mixte paritaire si :
= les deux Assemblées n'ont pas adopté
un texte après deux lectures chacune.
= le Gouvernement a déclaré
l'urgence après une seule lecture des deux Chambres.
- le Premier ministre a le devoir de défendre
la répartition des compétences normatives entre Exécutif
et Législatif telle qu'elle est organisée par la Constitution
notamment dans l'article 34. Cela veut dire que le Premier ministre doit veiller
à ce que la loi ne sorte de son domaine pour empiéter dans celui
du règlement dit "autonome" (art. 37-2).
- le Premier ministre a seul le pouvoir de
mettre en jeu la responsabilité du Gouvernement (art. 49) :
+ il s'agit d'une obligation (sans qu'aucun
délai ne soit précisé cependant) lorsque le Gouvernement
vient d'être nommé et que le Parlement doit se prononcer sur le
programme Gouvernemental ou sur une déclaration de politique générale
(art. 49-1). Le vote est acquis à une majorité simple.
+ il s'agit d'une faculté lorsque le
Gouvernement veut absolument qu'un de ses textes soit adopté. Le Premier
ministre engagera alors la responsabilité du Gouvernement sur le texte
(art. 49-3) et l'Assemblée n'aura d'autre solution que de déposer
et voter une motion de censure (cette dernière étant adoptée
à la majorité absolue).