COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL GÉNÉRAL


Cours écrit par O. CAMY
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Plan détaillé du cours


   


La Constitution

1. La notion de Constitution

A Origine de la Constitution
a) L'idée d'une loi suprême dont le contenu est invariable et qui s'impose à toutes les autres normes juridiques est évidemment religieuse.
L'Ancien Régime en France admet l'idée d'un droit supérieur d'origine divine qui fonde et limite à la fois  le pouvoir politique. Ce droit tiré de la Bible est dit droit naturel : il est au-delà de la volonté humaine. Le pouvoir royal est donc encadré et finalisé : il faut conduire le peuple vers la réalisation de fins temporelles mais aussi spirituelles.  - Opposition avec l'Etat antique où le pouvoir est attaché à la personne du chef et ne vient pas de Dieu -.
Mais si le pouvoir vient de Dieu, -fondé par une loi religieuse-, pour autant son titulaire n'est pas désigné par Dieu. Sa désignation est affaire humaine et peut dépendre du peuple. L'absolutisme qui affirme que le roi détient son pouvoir immédiatement, exclusivement et directement de Dieu est une déformation de la doctrine de l'Eglise catholique.

b) la Constitution sous l'Ancien Régime

Par imitation de la loi divine, l'AR en France connaît des lois fondamentales (LF) qui sont supérieures aux lois ordinaires et qui contrairement à elles ne sont ni modifiables, ni révocables par le Roi. Cependant , d'une certaine façon ces lois fondamentales sont l'œuvre du Roi puisqu'il est le seul à les promulguer.
D'où un paradoxe encore actuel qui heurte la logique : le Roi fait et est fait par les LF.
Le contenu des LF impose des obligations au pouvoir royal (loi de catholicité) et règle sa transmission (loi de masculinité).

B Définition de la Constitution
C'est la règle juridique généralement suprême qui contient à la fois :

- les principes directeurs de l'ordre juridique étatique : la Constitution définit quels sont les buts, finalités qui doivent guider les opérateurs du droit

- les règles de base concernant l'aménagement et la transmission du pouvoir d'État : la Constitution institue des organes d'État qu'on appellera « pouvoirs constitués » (cf. Des institutions politiques comme le Parlement, le Tribunal constitutionnel) et organise les mécanismes pacifiques visant à assurer leur renouvellement.

- l'énoncé des libertés fondamentales protégées par l'Etat : ces droits sont généralement énoncés dans le Préambule de la Constitution qui lui-même contient une Déclaration de droits ou s'y réfère.

C Types de Constitutions
On distingue principalement 2 types :

a) la Constitution coutumière

Cas fréquent avant le XVIIIe siècle mais rare aujourd'hui. Ainsi la France de l'Ancien Régime connaissait une Constitution coutumière embryonnaire : ce sont les lois fondamentales du royaume qui concernaient notamment la succession au trône et l'inaliénabilité du domaine royal. Aujourd'hui très peu d'Etats en Occident ont une Constitution coutumière (Cf. La GB a une Constitution partiellement coutumière) alors qu'ailleurs dans le monde, cela peut arriver (Cf. Certains Etats musulmans comme l'Arabie Saoudite). L'organisation politique et les garanties des libertés découlent alors du respect d'usages répétés (souvent depuis des temps immémoriaux) considérés comme obligatoires par les organes étatiques et sanctionnés par les tribunaux.

b) la Constitution écrite

C'est le cas le plus fréquent. La Constitution se présente comme un document assez court qui a été adopté sous la forme d'une loi soit :

1. particulière : loi adoptée par le Parlement à une majorité qualifiée ou par le peuple directement. Généralement, ce type de Constitution écrite est précédé d'un Préambule ou d'une Déclaration de Droits. Ex : États-Unis, France

2. ordinaire : loi votée comme toutes les autres lois par le Parlement à la majorité simple. Ex : GB pour certains textes constitutionnels (Cf. Grande Charte de 1215, Bill of Rights de 1689) URSS

D Valeur des Constitutions

a) La valeur juridique des Constitutions
Pendant longtemps, notamment en France ou aux Etats-Unis, la valeur juridique des Constitutions et de leurs Préambules a été discutée. Le débat est clos aujourd'hui pour ce qui concerne les Constitutions qui sont considérées non plus comme des textes politiques mais bien comme des textes juridiques à part entière sanctionnés par le juge. Concernant les Préambules et les textes solennels auxquels ils renvoient (par exemple la DDHC de 1789 pour le Préambule de la Constitution française de 1958), la discussion continue notamment en France. Cela malgré la décision de 1971 du Conseil constitutionnel qui a admis la valeur juridique et constitutionnelle du préambule de la Constitution de 1958 et des textes auxquels il fait référence. Une décision dont les avantages sont largement soulignés par la doctrine (meilleur respect des libertés par le gouvernement ou le Parlement, Etat de droit consolidé, etc.) mais qui comporte des inconvénients.

Deux types d'arguments militent contre cette décision :

- il semble que le constituant de 1958 n'a jamais admis que le Préambule, simple texte introductif faisant référence à des textes contradictoires, souvent flous avait valeur juridique.

- on a oublié que la DDHC contenait du droit naturel qui par définition est hors la volonté des hommes, éternel et immuable. On en a fait du droit positif modifiable selon les circonstances, interprétable selon des motifs politiques. On l'a donc fragilisé…

Nota : Sous la IIIe et la IVe République en France les Préambules n'étaient pas considérés comme du droit. Quant à la DDHC de 1789, on lui conférait de façon implicite valeur de loi ; ce qui justifiait un contrôle de la conformité des actes administratifs à la Déclaration par le juge administratif.

 b) La supériorité des Constitutions
Généralement, les Constitutions ont une valeur supérieure à celle de toutes les autres normes de droit interne : lois ordinaires, règlement, actes administratifs... Cela s'explique par l'importance (au sens matériel) des règles ou principes qu'elles contiennent. Dès lors toutes les autres normes devront respecter la Constitution et pourront être déclarées inconstitutionnelles par les tribunaux si elles ne le font pas.

Cependant lorsque la Constitution est contenue elle-même dans une loi ordinaire, elle a la valeur de cette loi ; c'est-à-dire la valeur de toutes les autres lois malgré son contenu spécifique. Elle ne bénéficie donc pas d'une supériorité par rapport à ces lois. C'est le cas en GB.

Nota : il est indiqué généralement que la Constitution est la norme suprême au sein de l'Etat et à ce titre fonde la validité de l'ordre juridique de cet État. Cela serait vrai seulement si on pouvait démontrer que la Constitution était la norme ultime. Or, si l'on admet qu'une règle juridique tire sa validité d'une autre règle juridique (et comment ne pas l'admettre ?), alors la Constitution n'est pas la norme ultime. Logiquement, elle tire sa validité d'une norme préexistante qui peut lui être supérieure.

 Le courant positiviste dominant (Kelsen) concède qu'il existe bien une norme méta-constitutionnelle mais cette norme doit être supposée. Mais on ne voit pas comment un ordre juridique pourrait se fonder sur une norme seulement hypothétique. Le courant jusnaturaliste minoritaire admet l'existence d'un droit naturel immanent à la nature ou issu de la volonté divine qui justifie de façon ultime le droit posé par la volonté humaine ou droit positif. Cette position qui a été admise encore sous la Révolution (par exemple Sieyès) comporte certains inconvénients, notamment le risque du dogmatisme : soit l'affirmation que les normes juridiques doivent avoir un certain contenu pour être dites juridiques.

2. L'élaboration de la Constitution
Dans le droit constitutionnel occidental classique, la Constitution qui est généralement écrite, supérieure aux autres normes juridiques fait l'objet de procédés d'établissement particuliers, solennels. Le procédé le plus souvent retenu depuis le XVIIIe siècle consiste à avoir recours à une Assemblée constituante ou au gouvernement approuvé par le peuple. Un procédé qui permet de respecter le principe de souveraineté démocratique. Assemblée ou gouvernement exercent alors le pouvoir constituant au nom du Souverain.

A le recours à l'assemblée constituante ou au gouvernement
a) l'assemblée constituante

On distingue :

- l'assemblée constituante spéciale (ou ad hoc) : on convoque une assemblée spécialement dans le but qu'elle élabore une Constitution. Elle n'a que ce pouvoir à l'exclusion de tous les autres pouvoirs législatif, de contrôle politique... Ex : la Convention de Philadelphie qui élabora la Constitution américaine fédérale en 1787.

-l'assemblée constituante et législative : l'assemblée élaborant la Constitution est l'assemblée ordinaire qui fait les lois au sein de l'État. Ex : la France a suivi cette voie durant la Révolution.  Les assemblées de la révolution étaient constituantes et législatives.

b) le gouvernement approuvé par le peuple

C'est la solution préférée aujourd'hui. Ainsi, la Constitution de 1958 a été élaborée par le gouvernement du G. de Gaulle sur le fondement d'une loi constitutionnelle du 3 juin 1958. Ce gouvernement, le dernier de la IVè République devait recueillir l'avis d'un Comité consultatif en partie désigné par le Parlement. La Constitution a été adoptée par référendum le 28 septembre.

B le pouvoir constituant
On admet généralement que l'organe qui élabore la Constitution détient un pouvoir constituant :

- originaire (ou inconditionné) notamment à la naissance d'un État ou à l'occasion d'un changement complet de régime politique (révolution). Dans ce cas l'organe agit au nom du souverain en toute liberté.

- institué (c'est-à-dire conditionné) les conditions étant généralement prévues par la Constitution précédente ou une loi spéciale. C'est le cas lorsqu'il y a simple révision. Ici l'organe agit au nom du souverain mais est lié par des obligations, interdits fixés au préalable.

   

3. La protection de la Constitution

Cette protection de la Constitution écrite se justifie évidemment par l'importance des règles ou garanties pour les libertés qu'elle contient. Cette protection peut se manifester de deux façons. Par la mise en place :
- d'une procédure spéciale de révision qui sera longue, complexe pour éviter que la Constitution ne soit modifiée trop facilement

- d'une procédure de contrôle de la conformité à la Constitution des normes qui lui sont inférieures pour éviter que de telles normes soient édictées et viennent ainsi enfreindre et modifier implicitement la Constitution.

A la procédure spéciale de révision
Ce sont les Constitutions qui elles-mêmes en général organisent cette procédure spéciale. Du coup, ces Constitutions deviennent difficiles à modifier. On les dit rigides selon une expression qui nous vient de MM. Dicey et Bryce (juristes anglais ayant proposé cette formulation au début du siècle). C'est le cas en France et aux États-Unis.

Trois procédures sont à noter :

a) la révision par le Parlement

Cette révision se fait par le Parlement en formation spéciale et selon des modalités de vote particulières. Exemple : France IIIe  République [la révision  est faite par la Chambre des Députés et le Sénat réunis en une Assemblée appelée Assemblée nationale]. Belgique [Les 2 chambres peuvent effectuer une révision mais après avoir été renouvelées et en votant à la majorité des 2/3 (art.195)].

b) la révision par une Assemblée spéciale

Cette révision se fait par une Assemblée spécialement élue à cet effet. Exemple : États-Unis ; la révision peut être effectuée par une Convention élue à cet effet mais cette procédure se voit préférer en général la solution du Congrès votant à la majorité des 2/3.

c) l'intervention directe du peuple par la voie du référendum

Généralement, cette intervention est combinée avec l'utilisation du Parlement ou d'une Assemblée spéciale.

Exemple : France Ve République article 89.3 phases sont à distinguer :

- l'initiative ; elle appartient au Président de la République sur proposition du Premier ministre (projet de révision) ou aux membres du Parlement (proposition de révision).

- l'adoption ; elle appartient au Parlement. Chacune des chambres doit adopter en termes identiques le texte à la majorité simple.

- la ratification ; elle appartient :

-- si c'est un projet de révision : soit au peuple par la voie du référendum, soit au Congrès (qui est la réunion des 2 chambres à Versailles votant  ensemble à la majorité des 3/5èmes). Le choix est fait par le président de la république.

-- si c'est une proposition de révision : uniquement au peuple par la voie du référendum.

Les dernières révisions de la Constitution se sont faites surtout par l'intervention du Congrès (à partir des années 90 : 17 novembre 1993 la réforme du droit d'asile consécutive à l'adoption du traité de Schengen - 31 juillet 1995 sur l'élargissement du domaine du référendum ordinaire et l'allongement de la durée de session du Parlement). La réduction du mandat présidentiel en 2000 est cependant intervenue par référendum. Mais le taux d'abstention a été tel (plus de 60 %) que l'on hésitera sans doute longtemps à réemployer cette procédure.

NOTA Dans le cas rare où une Constitution est contenue dans une loi ordinaire, il n'existe pas de procédure spéciale pour l'élaborer ou la réviser. On la dit alors souple. C'est le cas à certains détails prés en Angleterre où le Parlement peut adopter suivant la procédure ordinaire toutes les lois constitutionnelles écrites et ensuite les modifier, voire les abroger.

B la procédure du contrôle de constitutionnalité
 Cette procédure spéciale presque toujours juridictionnelle a pour but d'empêcher les normes inférieures (principalement les actes du Législatif) d'enfreindre la Constitution. Elle a pour conséquence de garantir le fonctionnement normal des institutions politiques et le respect de nos libertés fondamentales (qui ne sont plus menacées par des lois pouvant être contraires à nos institutions ou liberticides).

a) Origine du contrôle de constitutionnalité des lois

L'idée d'un contrôle de constitutionnalité des lois n'a été développée et mise en application que tardivement par les États occidentaux. Elle commence maintenant à s'universaliser (Cf. le développement des cours constitutionnelles dans les anciens États communistes d'Europe centrale ou du tiers-monde).

Cette idée est appliquée :

- aux États Unis à partir dès le XIXe siècle sur l'initiative de la Cour Suprême (1803, décision Marbury c. Madison)

- en Europe au XXe siècle sur l'initiative du Constituant qui crée un Tribunal constitutionnel (1920 en Autriche, 1958 en France) chargé de vérifier la conformité des lois à la Constitution. La France a mis en place ce contrôle très tard sans doute parce qu'elle a adhéré plus que les autres pays à l'idée que la loi en tant qu'elle émane du peuple  souverain ne doit pas être critiquée. Ainsi sous la Révolution, la plupart des orateurs avaient rejeté l'idée d'un tribunal constitutionnel chargé de contrôler les lois (cf. Thibaudeau 24 Thermidor an III « Ce pouvoir monstrueux serait tout dans l'Etat et en voulant donner un gardien aux pouvoirs publics, on leur donnerait un maître »).

b) Justification du contrôle de constitutionnalité des lois
La mise en place de ce type de contrôle se justifie ainsi. On ne fait plus confiance aux autorités politiques, notamment le Parlement pour respecter la Constitution. Ses lois peuvent être contraires à la Constitution. Il faut donc pouvoir les annuler ou les déclarer inconstitutionnelles. Conséquence : on permettra à certains organes, de préférence juridictionnels de contrôler ses lois.

1. Pourquoi le juge ?
Dans la tradition française (Cf. Montesquieu), le juge est considéré comme neutre pour au moins deux raisons :

- Le juge est au sein de l'État l'organe qui théoriquement bénéficie de la plus grande indépendance vis-à-vis du pouvoir politique. Ainsi, il est complètement séparé des organes législatif et exécutif qui ne peuvent faire pression sur lui ou le révoquer.

- Il est censé être un organe, neutre, impartial qui s'oppose à la loi pour des raisons de droit et non idéologiques (cf. « l'automate » de Montesquieu).

2. Quel contrôle ?
 Les juges feront un contrôle de constitutionnalité par rapport à la Constitution au sens strict ou mieux, par rapport à la Constitution au sens large (Constitution + déclaration des droits ou préambule). En effet, seul le contrôle par rapport à la Constitution au sens large permet un respect complet par le législateur des libertés fondamentales.

3. Critique :
Le contrôle juridictionnel de constitutionnalité des lois n'a plus d'adversaires aujourd'hui. Il en a eu autrefois. Ainsi, les partisans du droit constitutionnel marxiste-léniniste étaient favorables à un contrôle de constitutionnalité confié au Parlement et non au juge. Pourquoi ?

- le juge n'étant pas élu ou désigné démocratiquement, on ne doit pas lui donner le pouvoir de s'opposer à la loi qui elle émane d'organes exprimant la volonté du peuple

- la Constitution émanant tout comme la loi de la volonté du Peuple souverain, il est absurde de faire contrôler par un juge l'une par l'autre. Cela revient à considérer que la manifestation la plus ancienne de cette volonté (sous forme de Constitution) doit toujours l'emporter sur les manifestations les plus récentes (sous forme de lois). Il vaut mieux que le Parlement fasse prévaloir l'une ou l'autre selon l'intérêt général.

Ces arguments sont recevables mais ils ne débouchent pas sur une alternative fiable. Un autocontrôle du Parlement serait sans doute plus légitime et progressiste mais il serait nécessairement politisé et inefficace (le Parlement aurait-il le courage de se critiquer lui-même ?).

c) exercice du contrôle
Le contrôle de constitutionnalité effectué par un juge peut intervenir selon deux mécanismes très différents :

1- le contrôle par voie d'exception
 
- Définition : C'est un contrôle effectué par un juge ordinaire, non spécialisé à l'occasion d'une quelconque action en justice. Le justiciable invoquera le non respect de la Constitution (l'exception d'inconstitutionnalité) par la loi appliquée à son cas. Et le juge en conséquence vérifiera si cette loi est conforme ou non à la Constitution.  
- Origine : Le contrôle par voie d'exception est né et s'est développé aux États-Unis au XIXe siècle. Dans une décision Marbury contre Madison (1803), la Cour Suprême américaine a considéré que le juge ordinaire avait le pouvoir de faire un tel contrôle. La cour a estimé que ce contrôle était inhérent à la fonction de juger. Car le juge doit toujours faire prévaloir la norme supérieure sur la norme inférieure ; ici la Constitution sur la loi. En cas de contradiction, il ne fera pas application de la loi.
Dans la pratique, les juges ordinaires américains sont habilités à examiner le respect des lois par rapport à la Constitution d'un État fédéré ou par rapport à la Constitution fédérale. La Cour suprême n'intervient qu'en dernier recours comme juge d'appel.
- Effets : Le contrôle par voie d'exception est toujours un contrôle :

- a posteriori, c'est-à-dire qu'il intervient après que la loi a été promulguée et donc entrée en vigueur. Ce qui a un avantage : la systématicité (toutes les lois potentiellement sont susceptibles d'être contrôlées) et un inconvénient : l'insécurité juridique (toutes les lois quelle que soit leur antériorité peuvent être déclarées institutionnelles ce qui fragilise l'ordre juridique).

- incident, c'est-à-dire qu'il n'a d'effet que pour les parties concernées par l'action en justice. La loi n'est pas annulée. Simplement ses effets sont suspendus pour les préjudiciables. Elle reste valable, applicable à tout le reste de la population.

2- le contrôle par voie d'action
- Définition : c'est un contrôle effectué par un juge spécialisé devant lequel à l'occasion d'un recours, on lui demandera de vérifier la constitutionnalité d'une loi. Ce juge spécialisé siège dans un tribunal ou une cour constitutionnelle. Le juge ordinaire est incompétent dans ce domaine.

- Origine : c'est un contrôle qui été mis en place et développé en Europe au XXe siècle. L'Autriche dès 1920 a pour la première fois instauré un tribunal constitutionnel, puis a été suivie notamment par l'Espagne républicaine en 1931. La France n'a créé un véritable contrôle de constitutionnalité qu'en 1958 avec la mise en place d'un Conseil constitutionnel composé de 9 juges nommés par le président de la République, les présidents de l'Assemblée Nationale et du Sénat.

-Effets : Le contrôle par voie d'action est :
- soit a posteriori, soit a priori. Dans le premier cas, le Tribunal constitutionnel pourra contrôler une loi déjà promulguée (par exemple en Italie, en Allemagne...). Dans le deuxième cas, celui de la France, le contrôle intervient après le vote de la loi et avant sa promulgation. Le contrôle a priori a un inconvénient et un avantage.

L'inconvénient est qu'il n'est pas systématique (car certaines lois n'ayant pas fait l'objet d'un recours ne seront jamais contrôlées). L'avantage est qu'il crée un sentiment de sécurité juridique (car avant même de produire des effets, ces lois seront suspendues et d'autre part, les personnes juridiques seront sûres que les lois qui leur sont appliquées ne seront pas remises en cause).
- toujours non incident ; c'est-à-dire que les effets de la décision concerneront toute la population et pas seulement les auteurs du recours. La loi est annulée ou bien déclarée non valable pour tous.

Nota : Le contrôle par voie d'action du Conseil constitutionnel  en France a fait l'objet de deux extensions, l'une par rapport à son objet, l'autre par rapport à son déclenchement :

- objet. Elle est intervenue en 1971 à la suite d'une décision du Conseil constitutionnel concernant la liberté d'association. Le Conseil a admis qu'il devait faire un contrôle par rapport à la Constitution au sens large, c'est-à-dire la Constitution et son Préambule qui renvoie lui-même à la DDHC de 1789 et au Préambule de 1946 ; ce qui revenait à considérer que ces derniers textes et les libertés fondamentales qu'ils contiennent avaient valeur constitutionnelle.
- déclenchement. Une réforme constitutionnelle de 1974 a permis que le Conseil constitutionnel soit saisi en plus des autorités déjà prévues (Le Président de la république, le Premier ministre, les Présidents des 2 chambres), par 60 députés et 60 sénateurs.
Aujourd'hui le Conseil constitutionnel est concurrencé dans son rôle de protecteur des libertés par le juge ordinaire lorsque ce dernier exerce un contrôle de conventionnalité de la loi par rapport aux traités (notamment la Convention européenne des droits de l'homme). (Voir sur ce point l'opinion de D. Rousseau).

Il a par ailleurs été complété par l'instauration d'une question préjudicielle d'insconstitutionnalité en 2008 (art. 61-1 C). Cette question peut être soulevée devant toute juridiction d'instruction ou de jugement appartenant à l'ordre administratif et judiciaire (sauf la Cour d'Assises) ; elle ne concerne que les droits et libertés contenus dans la Constitution. Le Conseil constitutionnel est saisi sur renvoi après filitrage par le Conseil d'État ou la Cour de cassation.


   

4. L'abrogation de la Constitution
La Constitution peut être totalement ou partiellement abrogée. Cela ne pose pas de difficultés particulières dans le cas de constitutions coutumières. Apparaissent alors de façon plus ou moins progressive, des coutumes contraires aux coutumes constitutionnelles existantes qui peuvent les abroger ou les remplacer facilement car elles ont même valeur juridique. Dans le second cas, celui des Constitutions écrites, cette abrogation partielle ou totale doit être soigneusement organisée et contrôlée sans quoi des dérapages peuvent intervenir.

A l'abrogation totale des constitutions écrites

Elle conduit à la disparition pure et simple d'une Constitution écrite. Deux situations sont à distinguer :

a) l'acte juridique contraire

Par une manifestation de volonté, (qui prend la forme généralement d'une loi constitutionnelle), il est décidé de mettre fin à une Constitution en procédant à une révision totale. Exemple : loi du 10 juillet 1940, loi du 3 juin 1958.

b) le fait juridique contraire

Un fait annoncé par la Constitution peut conduire à sa disparition automatique. Exemple : L'article 146 de la Loi Fondamentale de la R.F.A. prévoit que cette loi cessera d'exister si la réunification de la Nation allemande a lieu. Cela n'a pas eu lieu dans les faits puisque lorsque la réunification est intervenue, le Gouvernement allemand approuvé par référendum a préféré prolonger l'existence de la Loi fondamentale qui est maintenant appliquée sur les territoires de l'ex R.D.A. Le processus d'élaboration d'une nouvelle Constitution valable pour l'Allemagne réunifiée n'a pas été enclenché comme prévu.

B l'abrogation partielle des Constitutions écrites
 L'abrogation partielle doit normalement se faire par le biais d'une révision constitutionnelle dont la procédure est organisée par la Constitution elle-même. Mais, il arrive qu'on aboutisse au même résultat par le biais d'usages ou de pratiques contraires à la Constitution. Il s'agit alors d'une révision de fait. Le processus est le suivant : certains organes constitutionnels (faisant partie généralement de l'Exécutif), de façon unilatérale ou conjointe, prennent l'habitude de ne pas appliquer certains articles de la Constitution. Soit, ils n'obéissent pas à certaines obligations constitutionnelles, soit ils se donnent des compétences non prévues par la Constitution. Il y aura un faussement ou une violation de la Constitution favorisé généralement par 2 facteurs :

-  la Constitution est rédigée à certains endroits de façon maladroite ou ambiguë. Cela permet alors à certains acteurs politiques d'imposer plus facilement une interprétation contestable de certains articles de la Constitution.

- il n'existe pas de tribunal constitutionnel pour contrôler leurs actes ou si ce tribunal existe, sa compétence ne s'étend pas jusque-là.

Certains auteurs de plus en plus nombreux considèrent que ces pratiques ou usages ont pu générer des normes constitutionnelles à part entière (soit des coutumes constitutionnelles contra legem) qui peuvent déroger légitimement à la Constitution écrite. Dès lors, on pourrait parler d'une révision de droit et non plus de fait. Cette solution n'est pas acceptable pour plusieurs raisons  :

- la caractéristique et la justification d'une Constitution écrite  et supérieure aux autres normes de droit interne est d'être une loi possédant une forme spécifique et une puissance renforcée. Dès lors, il y a incompatibilité entre Constitution et coutume car les actes coutumiers ne possèdent pas de forme particulière et de force équivalente ou supérieure à la loi constitutionnelle écrite.

- la coutume est encore plus illégitime dans le cadre des Constitutions rigides car ici la suprématie formelle de la Constitution est consacrée par l'existence d'une procédure spéciale de révision. On ne saurait donc admettre que la simple répétition d'actes formellement inférieurs considérés comme obligatoires par leurs auteurs puissent avoir pour effet de la compléter ou de la modifier.

- les éléments constitutifs des coutumes contra legem, soit la repetitio et l'opinio juris ne sont généralement pas réunis ; ce qui ne permet pas d'attester à coup sûr de l'existence d'un fait coutumier.

Nous aurons à revenir au Second semestre sur ces phénomènes qui sont par essence politiques et non juridiques. Il s'agit de situations de fait et non de droit. Les pratiques et usages en questions n'ont pu ne générer que des normes politiques, appelées « conventions de la Constitution » non obligatoires et non sanctionnées par les juges.

4. Critique de la notion de Constitution
A. au sens matériel
On peut s’interroger sur la prétention des Constitutions modernes à instituer ex nihilo un Etat et ses organes propres. Cela suppose une conception artificialiste du droit qui n’est jamais remise en cause.
B. au sens formel
La prétendue suprématie ou encore le caractère ultime des Constitutions au sens formel doivent être remis en cause. Le droit ne peut s’arrêter à une norme posée par la volonté humaine.
Si l’on admet que le droit ne peut exister que s’il existe déjà du droit, la Constitution positive ne saurait avoir de valeur juridique qu’à condition d’avoir été produite en vertu d’une norme qui lui est supérieure. Sauf à concéder que la validité de la Constitution et de l’ordre juridique qu’elle instaure n’est pas justifiée, cette norme doit bien exister. Or, il est impossible de décrire phénoménalement cette norme. Il n’existe pas de norme supra ou métaconstitutionnelle qui ait été posée par quelque organe compétent. Nous n’en trouvons pas de trace historique. Il doit donc exister une norme située au-dessus de la Constitution qui n’a pas de réalité empirique (notamment linguistique) tout en étant juridique. Hélas, ce problème est tout simplement écarté par les juristes positivistes.