La responsabilité politique du Gouvernement
O. CAMY


Le pouvoir de mettre en cause par un vote l'existence même du Gouvernement reconnu à une assemblée parlementaire, voire deux assemblées, dans certains systèmes bicaméraux (notamment en France sous la IIIe République),  constitue la caractéristique fondatrice des régimes parlementaires, par opposition aux régimes dits présidentiels dont les institutions des Etats-Unis fournissent le meilleur exemple.
A cet égard, en dépit de l'étendue des prérogatives qu'elle attribue au Président de la République, la Constitution de 1958 organise incontestablement un régime de nature parlementaire, puisque son article 20 dispose que le Gouvernement est « responsable devant le Parlement dans les conditions et suivant les procédures prévues aux articles 49 et 50 ».
Ces conditions et procédures portent, toutefois, la marque du souci que les rédacteurs de la Constitution ont eu d'assurer à la France une stabilité gouvernementale qu'elle n'avait connue sous aucun régime républicain antérieur à 1958. Il est d'ailleurs significatif que ces conditions et procédures soient définies de manière relativement détaillée par la Constitution elle-même alors que le domaine du Règlement de l'Assemblée nationale est, sur ce point, cantonné à la définition de modalités d'application, dans la mesure où les règlements des assemblées parlementaires, avant leur mise en application, doivent être soumis au Conseil constitutionnel qui se prononce sur leur conformité à la Constitution. Dans le même esprit, le Conseil constitutionnel a veillé de la manière la plus stricte à ce que la responsabilité du Gouvernement ne puisse être mise en cause que dans le cadre du dispositif constitutionnel, en refusant notamment aux assemblées toute possibilité de procéder à des votes non prévus explicitement par la Constitution.

L'article 49 de la Constitution définit trois procédures de mise en cause de la responsabilité du Gouvernement devant l'Assemblée nationale qui, conformément à l'article 50, peuvent aboutir à la démission de celui-ci, remise par le Premier ministre au Président de la République. (voir l'article 49 de la Constitution)


L'engagement de la responsabilité du Gouvernement sur son programme (article 49, alinéa 1)
La première procédure repose sur la seule initiative du Gouvernement : le Premier ministre -et lui seul- a le droit d'engager la responsabilité du Gouvernement devant l'Assemblée nationale sur son programme ou éventuellement sur une déclaration de politique générale. Il s'agit donc, en ce cas à proprement parler, d'une mise en jeu plutôt que d'une mise en cause de la responsabilité du Gouvernement. La Constitution exige que l'initiative du Premier ministre soit précédée d'une délibération du Conseil des ministres, qui assure que le Président de la République et les membres du Gouvernement sont, sinon consultés, du moins informés.

a. La référence à la notion de « programme » du Gouvernement n'implique nullement que le Premier ministre est tenu d'engager sa responsabilité lors de son entrée en fonction, pour obtenir une investiture de l'Assemblée nationale : en effet, dans le système institutionnel de 1958, le Gouvernement tient son existence et son autorité de sa nomination par le Président de la République et les conserve tant que l'Assemblée n'a pas décidé de le « renverser ».

b. Le Règlement de l'Assemblée nationale prévoit que le vote sur le programme ou sur une déclaration de politique générale du Gouvernement est émis à la majorité absolue des suffrages exprimés, et non dans les conditions particulières requises pour l'adoption d'une motion de censure : les députés ont donc le choix de voter pour ou contre la confiance au Gouvernement ou encore de s'abstenir.

c. L'article 65 du Règlement de l'Assemblée nationale précise qu'il est procédé au scrutin public à la tribune ou dans les salles voisines de la salle des séances. Le scrutin ayant lieu au moyen d'une urne électronique reste ouvert pendant une durée d'une heure. Sous la douzième législature une réforme du Règlement issue de la résolution n° 106 du 26 mars 2003 offre à la Conférence des Présidents la faculté de décider le déroulement du scrutin dans les salles voisines de la salle des séances. Conformément aux dispositions de l'article 66 du Règlement  c'est aussi à la Conférence des Présidents qu'il appartient de fixer la durée du scrutin organisée dans les salles voisines de la salle des séances.

La motion de censure à l'initiative des députés (article 49, alinéa 2)
La deuxième procédure de mise en cause de la responsabilité du Gouvernement définie à l'article 49 de la Constitution repose sur l'initiative des députés. L'Assemblée se prononce alors sur une motion de censure, pouvant être motivée, qui n'est recevable que si elle est signée du dixième au moins des membres de l'Assemblée ; ce dixième est calculé sur le nombre de sièges effectivement pourvus au moment du dépôt de la motion, avec arrondissement, en cas de fraction, au chiffre immédiatement supérieur. Dans l'hypothèse où les 577 sièges de l'Assemblée sont pourvus, la signature de 58 députés est donc requise pour le dépôt d'une motion de censure.

a. Afin d'éviter la multiplication des motions de censure autres que celles répondant à l'engagement de la responsabilité du Gouvernement sur le vote d'un texte, la Constitution exclut qu'un député puisse être signataire de plus de trois motions au cours d'une même session ordinaire de neuf mois et de plus d'une au cours d'une même session extraordinaire.

b. Concernant le vote d'une motion de censure, la Constitution et le Règlement de l'Assemblée nationale comportent plusieurs règles particulières :
- Le vote ne peut avoir lieu moins de quarante-huit heures après le dépôt de la motion, ce qui n'empêche pas que la discussion commence avant. La discussion ne peut être différée au-delà du troisième jour de séance suivant l'expiration de ce délai de quarante-huit heures. Elle a lieu à une date fixée par la Conférence des Présidents.
- Seuls sont recensés les votes favorables à la motion de censure, qui ne peut être adoptée qu'à la majorité des membres composant l'Assemblée. Les députés n'ont donc pas le choix de voter pour ou contre la motion, ou de s'abstenir, mais peuvent seulement prendre ou ne pas prendre part au vote : la non participation au vote a l'effet qu'aurait, dans un scrutin classique, un vote favorable au Gouvernement.
- La durée du vote est, conformément aux dispositions de l'article 66 du Règlement, ramenée à quarante-cinq minutes si le scrutin a lieu à la tribune. En revanche, lorsque la Conférence des Présidents décide l'organisation du scrutin dans les salles voisines de la salle des séances, comme c'est le cas depuis 2003, c'est à elle qu'il revient d'en fixer la durée.

c. Le Règlement de l'Assemblée nationale prévoit enfin, en son article 156, la survivance d'une procédure d'interpellation du Gouvernement. Mais il ne s'agit plus, comme sous les IIIe et IVe Républiques, de permettre à un député, agissant de manière individuelle, de mettre en cause de manière impromptue et sans formalisme la responsabilité du Gouvernement. Il est, en effet, exigé qu'une motion de censure répondant aux conditions de recevabilité exposées ci-dessus soit jointe à la demande d'interpellation. Cette procédure ne constitue donc plus qu'une modalité particulière de dépôt des motions de censure, qui a pour seule conséquence pratique de donner à l'auteur de la motion une priorité dans la discussion de celle-ci.

L'engagement de la responsabilité du Gouvernement sur le vote d'un texte (article 49, alinéa 3)
La mise en cause de la responsabilité du Gouvernement peut enfin résulter de la conjugaison de deux initiatives : celle du Premier ministre d'engager cette responsabilité devant l'Assemblée nationale sur le vote d'un texte en discussion devant elle, suivie de celle des députés de riposter par le dépôt d'une motion de censure.
a. Une délibération préalable du Conseil des ministres est requise, comme en vue de l'engagement de la responsabilité du Gouvernement sur son programme ou sur une déclaration de politique générale.

b. La décision du Premier ministre entraîne la suspension immédiate, pour vingt-quatre heures, de la discussion du texte sur le vote duquel la responsabilité du Gouvernement est engagée. Au cours de ce délai, une motion de censure peut être déposée, répondant aux conditions de recevabilité exposées précédemment. Deux hypothèses sont alors possibles :
. Si aucune motion de censure n'est déposée, le texte est considéré comme adopté ;
. Si une motion de censure est déposée, elle est discutée et votée dans les mêmes conditions que celles présentées « spontanément » par les députés. En cas de rejet de la motion, le texte est considéré comme adopté. Dans l'hypothèse inverse, il est rejeté et le Gouvernement est renversé.
c. La procédure d'engagement de la responsabilité du Gouvernement sur le vote d'un texte peut être mise en oeuvre lors de toutes les lectures de celui-ci. Elle ne modifie pas le déroulement normal de la navette entre les deux assemblées, mais ne peut être mise en oeuvre pour l'adoption d'un texte par le Sénat.