Les théories néo-libérales
Les théories néo-libérales ne constituent pas un ensemble parfaitement
cohérent. Quatre courants, ayant exercé une influence particulière sur
les politiques économiques pratiquées durant les années 1980 et 1990,
peuvent être répertoriés. L'économie de l'offre (supply-side economics)
a voulu développer une théorie de la dépense publique et du taux
d'imposition optimal. Le monétarisme s'est focalisé sur les normes de
croissance de la masse monétaire. Le courant néo-walrasien a tenté
d'expliquer la persistance de rigidités de salaire et de prix sur les
marchés. Le courant néo-institutionnaliste a cherché à produire une
théorie générale des institutions ou structures de gouvernance
observables dans l'économie.
L'économie de l'offre
L'économie de l'offre veut montrer que la part croissante prise par
l'État dans l'économie compromet inévitablement le dynamisme
économique. Cette omniprésence de l'État se manifeste par le poids des
dépenses publiques dans le P.I.B., dont le caractère excessif est
susceptible de produire deux effets pervers.
Critique de l'interventionnisme étatique
Le premier effet produit par la prise en charge de l'État est un effet
d'éviction. Les dépenses et investissements publics ont tendance à
remplacer les dépenses et investissements privés, dont l'efficacité est
supposée meilleure car elle est guidée par l'incitation sélective,
inhérente à la concurrence sur les marchés.
Le deuxième effet de l'accroissement des dépenses publiques est
qu'elles tendent à augmenter indéfiniment le besoin de financement de
l'État et se traduisent, au final, par un alourdissement continu de la
ponction fiscale.
L'augmentation des impôts entraîne elle-même trois conséquences.
D'abord, elle diminue l'incitation à travailler et à investir, ce qui
laisse craindre un ralentissement de l'activité économique et de la
croissance. Ensuite, elle favorise l'extension du travail au noir, qui
échappe au fisc, ou encore l'évasion des hauts revenus vers des zones à
fiscalité avantageuse. Enfin, les sources de l'épargne privée risquent
de se tarir si la fiscalité sur le capital est trop lourde.
L'insuffisance d'épargne raréfie alors le capital, ce qui en renchérit
le coût ; les taux d'intérêt sont poussés à la hausse.
Dans tous les cas, il s'ensuit mécaniquement une baisse des recettes
fiscales, soit que le nombre de contributeurs s'amenuise en raison
d'une croissance économique ralentie, soit que ces derniers échappent à
l'imposition. Cette baisse des recettes entretient elle-même,
mécaniquement, une pression à la hausse du taux de prélèvement
obligatoire, si la part des dépenses publiques continue de croître.
Taux optimal d'imposition
La courbe en cloche élaborée par Arthur Laffer est désormais célèbre.
Elle rapproche le taux d'imposition (en abscisse) avec le montant des
rentrées fiscales (en ordonnée). Elle entend signifier qu'il existe un
taux d'imposition optimal, donné par les coordonnées en abscisse du
point correspondant avec le sommet de la courbe. Ce taux est celui qui
se révèle compatible, à la fois avec l'investissement et avec les
rentrées fiscales les plus fortes.
Si l'économie se situe sur la pente descendante de la courbe, cela
signifie que le taux d'imposition est trop élevé. L'investissement s'en
trouve découragé, le travail au noir et l'évasion des capitaux
favorisés, ce qui contribue à ralentir encore la croissance et donc les
recettes fiscales. De même, si l'on considère que les anticipations des
agents sont « rationnelles », qu'il prévoient les conséquences des
mesures de politique économiques, toute augmentation des dépenses
publiques suscitera une désincitation au travail car les agents
anticipent un futur alourdissement des prélèvements.
Pour les économistes de l'offre, la condition nécessaire pour relancer
la croissance est de réduire les dépenses publiques. Cette mesure
permet d'abaisser le taux d'imposition jusqu'à ce taux optimal capable
d'encourager l'épargne et l'incitation au travail et de provoquer une
reprise de l'investissement privé.
Réforme fiscale
La réforme fiscale proposée repose sur une idée-force. Cette dernière
consiste à réduire, voire à supprimer la progressivité de l'impôt. La
progressivité de l'impôt signifie que la contribution fiscale d'une
personne physique s'élève proportionnellement à mesure que son revenu
augmente. Par exemple, des tranches marginales faibles pour les bas
revenus, et fortes pour les hauts revenus, témoigneraient d'une forte
progressivité. Dans une perspective keynésienne, la progressivité de
l'impôt est justifiée par son caractère redistributif, qui permet de
drainer des flux de revenus qui auraient entretenu une épargne « oisive
» vers l'investissement public ou vers les classes dont la propension à
consommer est forte et dont les dépenses alimenteront le circuit
économique. Pour les libéraux au contraire, les hauts revenus sont
perçus comme la récompense du talent individuel et une gratification
méritée de l'initiative privée. À ceux qui invoquent l'injustice ou
l'iniquité, les économistes de l'offre répondent que la réduction de la
progressivité de l'impôt ne peut, au final, que bénéficier à la
communauté dans son ensemble. Les bénéficiaires de hauts revenus sont
en effet ceux qui entreprennent et créent des richesses au bénéfice de
tous, notamment en termes de créations d'emploi. Enfin, la condition
sine qua non de l'investissement est la présence d'une épargne
préalable, dont l'abondance réduit la rareté du capital et donc son
coût, c'est-à-dire le taux d'intérêt. Il est donc irrationnel, dans
cette perspective, de taxer les revenus dont la propension à épargner
est forte.
La réforme fiscale radicale préconisée par les économistes de l'offre
consiste à instaurer une flat tax, c'est-à-dire un taux d'imposition
unique et réduit (estimé à 7 p. 100 aux États-Unis) pour tous les
revenus, sur la base d'une assiette élargie. Dans les faits, les
réformes libérales effectivement mises en œuvre au cours des années
1980 et 1990 aux États-Unis et en Europe ont réduit le nombre de
tranches d'imposition et leur taux marginal, diminuant ainsi la
progressivité de l'impôt, tout en allégeant la fiscalité des sociétés.