COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL GÉNÉRAL
Cours
écrit par O. CAMY
© Droits de reproduction et de diffusion réservés.
Copyright :bien que l'accès au site soit totalement libre, les données (hors domaine public) demeurent la propriété exclusive de l'auteur. Aucune extraction massive et systématique n'est autorisée. Le format, la version numérique des données, les données elles-mêmes (hors domaine public) sont protégés par les législations nationales et internationales relatives au droit d'auteur, à la propriété intellectuelle.
Le
droit constitutionnel fasciste
Le droit constitutionnel fasciste qui a permis la justification et l'organisation
de régimes politiques autoritaires a été appliqué
essentiellement dans les années 30 et 40 en Europe, (notamment à
la suite de l'arrivée au pouvoir en 1922 de Mussolini -en Italie- et
en 1933 d'Hitler -en Allemagne-). Dans ces deux pays, des réformes institutionnelles
(ou parfois une interprétation autoritaire du droit existant) ont permis
l'instauration d'un droit constitutionnel en rupture complète avec le
droit constitutionnel classique. Ce droit constitutionnel fasciste a eu une
grande influence sur certains régimes d'Europe orientale (Hongrie, Bulgarie,
Roumanie...) avant la seconde guerre mondiale et d'Amérique Latine (Argentine,
Brésil...) après la seconde guerre mondiale. En Europe occidentale,
cette influence se fera sentir sous le régime de Vichy en France pendant
la seconde guerre mondiale, et après sous les dictatures de Franco en
Espagne, de Salazar au Portugal et de Papadhopoulos en Grèce. L'étude
de ce droit se justifie aujourd'hui en raison des tentations de certains partis,
régimes de renouer avec cette conception. (Exemple, le MSI en Italie)
Les principes qui fondent ce droit sont les suivants :
- État idéologique
- Gouvernement dictatorial (d'un seul)
- Confusion des pouvoirs au profit du chef de l'Exécutif
- Rejet de la conception libérale et socialiste des libertés fondamentales.
Nous prendrons comme exemples surtout l'Italie sous Mussolini et la France sous
Pétain.
Section 1 : État idéologique
C'est un État qui soumet tous les individus, toutes les autorités
même les plus hautes à une idéologie unique. Cette idéologie
prime sur le droit ou se substitue à lui.
Les États fascistes (tout comme les États marxistes-léninistes)
en tant qu'Etats idéologiques ne tolèrent l'adhésion qu'à
une seule idéologie de type autoritaire. Ce monopole idéologique
se déduit avant tout de l'idée de souveraineté de l'État
promue par les Etats fascistes : une souveraineté incarnée par
un guide, un chef qui se veut l'idéologue de l'Etat.
§1. La souveraineté de l'Etat :
Mussolini dans la Grande Encyclopédie italienne déclare que l'essence
du fascisme est d'être une doctrine de vie intégrale dans laquelle
« l'État constitue un absolu auquel l'homme naturellement
croit ». En conséquence, ce n'est pas la Nation ou le Peuple
qui importe. La Nation ou le Peuple ne sont pas le phénomène premier
ou encore souverains. C'est au contraire l'État qui à travers,
son Chef donne au Peuple, une volonté et donc une existence effective
(et non l'inverse).
Par exemple, l'article 1 de la Charte du travail fasciste déclare que
la Nation, unité morale, politique et économique "se réalise
dans l'État". Elle n'existe pas en dehors et sans l'État. Cette
souveraineté de l'État implique que le Chef de l'État en
raison de ses qualités propres et son parti (parti d'État, Staatspartei)
a le monopole du pouvoir mais aussi de l'opinion. Il existe une opinion unique,
transcendante exprimée par le Chef et le parti qui le représente.
§2. Les conséquences :
A La diversité des opinions ou des tendances est refusée car elle
se fonde sur une équivalence ou une égalité des opinions
qui n'existe pas et parce qu'elle risque d'engendrer la crise de l'État,
son affaiblissement mortel.
L'explication commune aux penseurs fascistes est la suivante :
- Dans les sociétés démocratiques, on met sur le même
plan au nom d'un principe libéral toutes les opinions en leur permettant
d'entrer en compétition librement ; or toutes les opinions ne se valent
pas. Une hiérarchie entre elles doit donc être instaurée
; l'opinion suprême, seule valable sera exprimée par le parti d'Etat.
Difficulté : quelle garantie existe-t-il pour que le Parti Etat dégage
l'opinion juste, à supposer qu'elle existe ?
- Dans les sociétés démocratiques, on permet à tous
les partis ou tendances d'arriver au pouvoir. Or ces partis ou tendances n'expriment
pas une conception déterminée de l'État, favorable à
ses intérêts mais plutôt des exigences nées d'intérêts
particuliers. Ainsi lorsqu'un parti l'emporte et s'empare de l'État,
ce dernier se trouve livré à un pouvoir qui lui est étranger
et finit par être menacé. Lorsqu'un parti ne peut dominer les autres
et doit s'allier à eux au sein de coalitions, chaque ministre est le
porte-parole non du bien de l'État mais du bien de son parti. Il y a
donc risque de division et d'anarchie à terme. Difficulté : comment
un parti peut-il prétendre seul incarner l'intérêt de l'Etat
à la différence des autres ?
B Les opinions opposées à l'opinion unique fasciste ne peuvent
plus s'exprimer et ne peuvent avoir de publicité ou de représentation
partisane. Elles sont considérées comme criminelles car meurtrières
pour l'État. Par contre l'opinion unique représentée par
le parti unique devient officielle ; le parti unique est un parti officiel,
organe même de l'État participant à son administration et
à son Gouvernement.
C Le principe de majorité qui veut qu'en démocratie, le parti
majoritaire à la suite d'une élection libre soit appelé
à gouverner est supprimé. Le parti fasciste en Italie lors des
élections de 1924 est devenu le parti majoritaire mais ce n'est qu'une
justification subsidiaire de son pouvoir.
(Cf. la déclaration de son secrétaire général :
"Quand bien même 12 millions de oui se transformeraient en 24 millions
de non, Mussolini demeurait au Palazzo Venezia et la révolution des chemises
noires poursuivrait sa route... Si 24 millions de non étaient déposés
dans les urnes, cela voudrait dire que la masse des électeurs a été
saisie d'une folie collective, que toute l'Italie n'est plus qu'un asile d'aliénés.
Raison de plus pour que les sages demeurent à leur poste...").
On aboutit donc à un État idéologique dans lequel l'idéologie
prime sur le droit ou se substitue à lui. L'État fasciste n'a
même pas besoin de Constitution ou de Déclaration des droits fondamentaux.
L'idéologie telle qu'elle s'exprime dans la bouche du chef de l'État
et appliquée par tous est censée garantir, préserver mieux
que le droit, l'intérêt de l'État et de ses membres. Il
peut existerà la rigueur un droit constitutionnel fasciste qui ne ferait
que traduire, rendre efficace la pensée du chef de l'État (qui
a le pouvoir constituant).
Cela explique que l'Italie fasciste comme l'Allemagne nazie n'a pas eu de véritable
Constitution, seulement quelques lois à portée constitutionnelle
- 3 ans après l'arrivée au pouvoir de Mussolini ; le régime
de Vichy non plus n'a pas édicté et fait ratifier une Constitution
comme le prévoyait pourtant la loi du 10 juillet1940.
Section 2 : gouvernement dictatorial (ou d'un seul).
Définition : gouvernement exercé directement et entièrement
par le souverain identifié à un chef qui commande en raison de
ses qualités ou vertus propres. La nation ou le peuple n'ont pas vocation
à gouverner même de façon indirecte à travers des
représentants. A la rigueur, ils s'exprimeront pour affirmer leur confiance
envers le dictateur (principe du plébiscite).
§1 le rejet du gouvernement direct ou indirect par le peuple ou la Nation
:
Le peuple n'a pas vocation à gouverner même à travers des
intermédiaires car il n'est pas souverain ; au sens où il n'a
pas le droit de commander.
Lui donner ce droit directement serait de toute façon impraticable en
raisons de difficultés de réalisation concrètes. Accepter
que des intermédiaires agissent en son nom et sous son contrôle
reviendrait à accepter le principe d'élection ou encore l'égalité
des votes. Or, comme nous l'avons vu, dans la pensée fasciste, la communauté
nationale n'est pas composée d'atomes, d'individus identiques ; elle
est composée d'individus et de collectivités dont les intérêts
varient, divergent et dont les compétences sont inégales. On ne
peut donc espérer en additionnant toutes ces volontés dégager
les principes qui doivent diriger la vie de l'État. Le droit de commander
doit donc appartenir à une élite d'où émanera le
Chef parce que cette élite en raison de son instruction, de son désintéressement
sera capable de comprendre l'intérêt véritable de tous et
donc de l'État.
§2 le rejet du gouvernement représentatif :
Le peuple ou la Nation n'étant pas souverains, ils n'ont pas vocation
à être représentés. La seule représentation
qui existera sera celle de l'État. Or c'est naturellement au Chef de
l'État qu'il advient de représenter, d'incarner l'État.
Juste derrière le chef de l'État, l'organe le plus représentatif
sera le pouvoir exécutif. Pourquoi ?
Mussolini dans un de ses discours répond de la manière suivante :
"parce que le pouvoir exécutif est le pouvoir le plus présent
et opérant dans la vie nationale ; c'est lui qui à chaque instant
se trouve placé devant le problème qu'il doit résoudre,
qui décrète les actes les plus importants qui puissent se manifester
dans la vie d'un peuple, qui déclare la guerre, qui conclut la paix".
Le privilège donné au Parlement considéré comme
l’organe le plus légitime dans les régimes de représentation
démocratique n'a donc plus lieu d'être.
Conséquences au plan juridique :
- Refus du suffrage universel : certaines catégories
de la population n'ont pas le droit de vote ou sont considérées
comme inéligibles car on considère qu'elles n'ont pas un loyalisme
suffisant envers l'État. Elles peuvent être exclues de la fonction
publique. Le cas le plus dérogatoire au droit constitutionnel classique
(et le plus dérogatoire à la morale républicaine) est le
cas des personnes dites de "race juive". Ainsi, le Gouvernement de Vichy en
1940 a élaboré un statut des Juifs qui se voyaient interdire l'accès
à certaines professions dont les fonctions publiques. Le régime
fasciste en avait fait de même dès 1938. En 1942, Mussolini est
allé jusqu’à proclamer que les juifs italiens devaient être
considérés comme des étrangers et des ennemis.
- Refus d'une représentation parlementaire
: les chambres élues au suffrage universel sont supprimées ou
ne sont plus jamais réunies. A la représentation parlementaire
classique, on substitue une représentation corporative. La première
représentation est considérée comme « quantitative »,
saisissant un homme isolé de sa famille, de sa région, de son
métier ; la seconde serait « qualitative » puisqu'elle
s'attache à la représentation concrète des représentés.
Ainsi, les familles, les professions, les entreprises, les collectivités
locales seront prises en compte. Cependant, cette représentation n'est
pas libre. Ainsi en Italie les associations, syndicats censées regrouper
les travailleurs les intègrent souvent de force et sont dominés
par le parti fasciste. La loi électorale de 1928 prévoit que les
corporations fascistes pourront seules présenter des listes de candidats
parmi lesquels le Grand Conseil fasciste (organisme suprême du parti fasciste)
en choisit un certain nombre qui seront désignés comme députés.
Section 3 : confusion des pouvoirs au profit du chef de l'Etat ou de gouvernement
Le principe de séparation des pouvoirs est refusé : la règle
selon laquelle on remettait à des organes distincts l'exercice de fonctions
étatiques elles-mêmes distinctes est rejetée. Il s'ensuit
que des fonctions que l'on avait coutume de distinguer sont remplies par un
même organe. En conséquence, on ne peut plus différencier
les organes par le genre de fonction qui leur est confié. Ainsi, le Chef
de l'État ou du gouvernement n'est plus un élément du pouvoir
exécutif ou du pouvoir législatif ; il devient l'organe suprême
participant de toutes les fonctions de l'État.
Cas du régime de Vichy influencé par l’idéologie
fasciste :
- Le Chef de l'État est l'organe essentiel ; son titulaire s'est
investi lui-même de sa fonction et a prévu qui lui succédera.
Il détient la plénitude du pouvoir gouvernemental (même
si en Avril 1942, il en déléguera l'exercice au chef du Gouvernement).
Il exerce le pouvoir législatif après avoir seulement entendu
le Conseil des ministres (qui d'ailleurs a été nommé par
lui et est responsable devant lui). Il dispose de la force armée et nomme
aux emplois civils et militaires. Son titulaire, le Maréchal possède
personnellement le pouvoir constituant.
- Le Parlement se voit substituer un Conseil National institué en
1941 dont les membres sont nommés par le Chef de l'État. Il n'a
qu'un rôle consultatif examinant l'opportunité des mesures sur
lesquelles il est consulté. Une représentation corporative annoncée
n'a jamais vu le jour.
- Le Chef de l'État a des pouvoirs de justice. Ainsi, les hauts fonctionnaires
peuvent être condamnés par le chef de l'État à des
amendes, réparations civiles et internés.
Section 4 : le rejet de la conception libérale et socialiste des libertés
fondamentales :
§1 les droits individuels :
La conception libérale des droits individuels est rejetée car
elle serait abstraite, irréaliste :
- L'homme auquel fait référence la DDHC de 1789 n'existe pas.
C'est une abstraction. Seuls existent des individus déterminés
par leur milieu familial, social, leur origine culturelle, raciale... En conséquence,
les droits fondamentaux dans la conception fasciste seront octroyés à
des individus situés et concrets en fonction de différents critères
(nationalité, race...). On préférera parler des « droits
des Français » par exemple.
- L'homme auquel fait référence la DDHC est considéré
comme un atome interchangeable, identique à tous les autres ; ce qui
explique qu’on les traite de la même manière. Or, selon la
pensée fasciste, les hommes sont différents donc inégaux.
Le droit ne saurait les rendre égaux. En conséquence, les droits
seront donnés en fonction de l’aptitude ou des mérites supposés
de certains groupes humains. Des critères pseudo scientifiques (notamment
celui de race) sont invoqués pour discriminer entre les êtres humains
et refuser à certains des droits fondamentaux.
La conception libérale des droits individuels est refusée au motif
qu'elle serait subjectiviste :
- Les droits de l'homme de 1789 sont censés appartenir aux individus,
porteurs de droits indépendamment de l’existence ou de l'action
de l'Etat. Cette conception est refusée dans les Etats fascistes au motif
que les hommes n'auraient des droits que par l'Etat, au travers de lui. Etat
et juridicité s'identifient. Il n'y a que du droit « objectif ».
En conséquence, les hommes n'ont aucun droit en tant qu'hommes et ne
sauraient vouloir exercer des droits par eux-mêmes.
- Les droits de 1789 sont censés être exercés par les individus
seuls et dans leurs intérêt propre. Or ce qui importe avant tout
dans un Etat fasciste, c'est l'intérêt collectif, celui de l'Etat.
En conséquence, les droits fondamentaux dans l'Etat fasciste seront finalisés.
Ils ne pourront être exercés que dans l’intérêt
de l'Etat.
Nota : la conception des libertés selon Vichy
Selon Vichy comme pour la doctrine fasciste, il 'est pas question d'accepter
la conception libérale des droits fondamentaux car cette conception est
trop abstraite : elle envisagerait l'individu comme un être isolé,
existant par lui-même, revendiquant des droits principalement en sa qualité
d'homme. Au contraire selon Vichy, l'individu n'existe que par la famille, la
société, la patrie dont il reçoit les moyens de vivre et
de se développer. C'est un être socialisé et concret. En
conséquence, il n'aura de droits qu'à la mesure du service qu'il
peut rendre aux communautés dont il dépend. Cela exclut
q'on donne à chacun un droit à la liberté ; cela implique
que la loi doit tenir compte de l'inégale capacité, de la diversité
des hommes. La loi doit être non pas égalitaire mais hiérarchique.
Conséquences en droit positif :
- Les droits sont donnés non pas aux hommes en général
mais aux Français ; cela à condition qu'ils aient une attitude
positive vis-à-vis de la communauté. Dans le cas contraire, ils
peuvent être déchus de leur nationalité.
Exemple : loi du 16 juillet 1940 qui permet de revenir sur l'acquisition de
la nationalité française par un étranger. Loi du 10 septembre
1940 qui s'applique aux « Français d'origine»
qui peuvent perdre leur nationalité en trahissant les devoirs qui
leur incombent en tant que membres de la communauté nationale. En échange,
les Français bénéficieront de droits auxquels les étrangers
ne peuvent prétendre : jouissance des droits politiques, l'exercice de
certaines professions leur est exclusivement réservé (médecine,
pharmacie ...).
- Les droits sont donnés en fonction d'un critère ethnique ou
racial à partit du présupposé (préjugé ?)
que certaines races ou ethnies sont inassimilables (Cf. le statut des juifs
de 1940/41).
§2 les droits sociaux et économiques :
Les Etats fascistes au début de leur existence ont repris des thèmes
et des modes d'organisation inspirés de l'idéologie marxiste.
Ils ont donc prétendu garantir et approfondir les droits sociaux et économiques
proclamés notamment en URSS. Une double limitation intervient cependant
dans leur application :
- Ces droits sont donnés là encore en fonction de certains critères
ou finalités propres à l'Etat fasciste (protection de la race,
de la famille...)
- Ces droits ne sont effectifs que si leurs destinataires provoquent l'intervention
du Parti Etat ou de son chef.
nota : pour aller plus loin sur les rapports entre droit et fascisme, mon ouvrage :