- La Cour Suprême, un simple enjeu politique pour le président US
Mercredi 1er novembre 2000

"The Nation" (New York)

Le 43e président nommera plusieurs membres de la juridiction suprême. Et ces juges sont nommés à vie.
Qui nommera les juges à la Cour suprême au cours des quatre prochaines années ? Il n'y a pas de question plus cruciale que celle-ci dans la course qui oppose Al Gore à George W. Bush. J'INSISTE, IL N'Y A PAS DE QUESTION PLUS IMPORTANTE que la composition de la prochaine Cour suprême et, partant, plus importante que la future politique en matière de droit à l'avortement, de droits civiques, de réforme du financement des campagnes électorales, de protection de l'environnement et de bien d'autres choses encore. Et cela pour deux raisons. Tout d'abord parce qu'au sein des trois branches supposées égales de l'Etat la Cour suprême a souvent la prééminence sur les deux autres de par son pouvoir de déclarer inconstitutionnelles certaines actions des présidents (telles que la mise sous séquestre des aciéries par le président Harry Truman en 1952) ou la promulgation de certains textes par le Congrès ou les Assemblées des Etats (ceux qui tentaient par exemple de légaliser la prière dans les écoles publiques).

La seconde raison pour laquelle la composition de la future Cour suprême représente un enjeu fondamental est le délicat équilibre qui prévaut actuellement au sein de cette institution. Sur les neuf juges, trois sont résolument conservateurs, quatre sont de gauche ou de centre gauche et deux sont centristes. Ainsi, les décisions de la Cour penchent tantôt d'un côté, tantôt de l'autre, et sont prises souvent avec une majorité d'une seule voix. La Cour ressemble en fait à une balance extrêmement sensible, que le moindre poids supplémentaire fera pencher à droite ou à gauche. Or il se trouve qu'en raison de leur âge avancé deux, voire trois juges sont susceptibles de quitter la Cour au cours des deux prochains mandats présidentiels. Un glissement à droite de deux votes suffirait pour que l'équilibre actuel cède la place à une solide majorité de 5 voix contre 4, qui, dans l'avenir, amènerait à suivre la voie tracée par les juges Antonin Scalia et Clarence Thomas, les deux membres les plus conservateurs de la Cour. Entre autres conséquences, une telle composition pourrait s'avérer fatale à l'arrêt Roe versus Wade, qui légalisa l'avortement en 1973. Et, avec trois juges supplémentaires du style Scalia et Thomas, la Cour suprême se muerait en un bastion conservateur en place pour des générations.

Or c'est précisément dans ce sens que le candidat républicain dit vouloir aller. Il a déclaré qu'il nommerait davantage de juges du type Scalia et Thomas. Si le prétendu “conservateur compatissant” gagne la course à la présidence, il est pratiquement certain que la prochaine Cour suprême sera plus conservatrice que compatissante…

La meilleure garantie contre un président Bush, et donc la meilleure chance d'une Cour suprême qui ne reproduise pas le schéma Scalia-Thomas, est une victoire démocrate le 7 novembre. Et aux indépendants - ainsi qu'aux quelques démocrates - qui soutiennent que les différences entre les deux partis sont si minimes qu'ils voteront pour Ralph Nader ou pour Patrick Buchanan [enlevant ainsi à Gore et à Bush des voix qui pourraient être cruciales pour leur victoire], la meilleure réponse est, une fois de plus, cette question essentielle : qui nommera des juges à la Cour suprême au cours des quatre prochaines années ?
Tom Wicker

- le processus électoral :
C'est une élection au suffrage universel indirect. On ne décompte pas les voix des électeurs au niveau national, comme ce qui se fait en France, mais au niveau de chaque Etat. Une petite victoire dans un Etat très peuplé vaut mieux qu'une large victoire dans un petit Etat.
Le rôle des électeurs américains (18 ans et plus inscrits sur les listes électorales)
Les électeurs votent pour deux hommes: le président et le vice-président (le «ticket»). Mais, les Etats-Unis étant une fédération, ce sont les Etats qui élisent réellement le président, via un corps de Grands électeurs. Dans chacun des 50 Etats, le ticket gagnant (à la majorité relative) obtient la totalité des Grands électeurs. Ainsi, même avec moins de 50% des voix des électeurs, un ticket décroche 100% des Grands électeurs.
Le rôle des Grands électeurs
Chaque Etat a un quota de Grands électeurs équivalent au nombre de ses élus à la Chambre des Représentants et au Sénat (nombre qui est lui-même proportionnel à la population de l'Etat concerné).
Sur l'ensemble des 50 Etats, il y a 538 Grands électeurs, élus au suffrage universel direct début novembre. Ce sont eux, au nom des électeurs et du parti qu'ils représentent, qui votent pour le «ticket» présidentiel. Pour être élu, ce «ticket» doit obtenir la majorité absolue de ces voix, soit 270. Le résultat est connu dès le scrutin populaire en additionnant le nombre de grands électeurs des Etats remportés par chacun des candidats. Il faut cependant attendre janvier pour connaître le résultat définitif. Les grands électeurs élus votent dans chaque Etat et envoient leurs votes à Washington, où ils sont dépouillés devant le Congrès.Fin janvier, le nouveau président entre en fonction.
Le Président
Comme, en général, les Grands électeurs restent fidèles au «ticket» qui les a désignés (même s'ils n'y sont pas juridiquement contraints), les noms du président et de son vice-président sont annoncés dès le soir du scrutin. Cependant, les Grands électeurs doivent envoyer leurs votes à Washington, pour y être dépouillés.
La disproportion entre la population des Etats est telle qu'un candidat peut gagner en emportant les grands électeurs des 11 Etats les plus peuplés et en perdant dans tous les autres.
Comme la majorité relative suffit à offrir au ticket vainqueur 100% des Grands électeurs dans chacun des Etats, ceux où la marge de victoire a été étroite sont surreprésentés par rapport à ceux où le vainqueur a obtenu une forte majorité. Il est fréquent que le vainqueur emporte une majorité de Grands électeurs très supérieure à celle qu'il obtient chez les simples électeurs. Par exemple, lors de la dernière présidentielle, en 1992, Bill Clinton est arrivé en tête dans 33 Etats. Ce résultat lui a assuré un total de 370 Grands électeurs (soit 68,7%). Pourtant, le candidat démocrate n'avait obtenu que 43% des suffrages, ne décrochant la majorité absolue que dans quatre Etats.
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