COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL GÉNÉRAL
Cours
écrit par O. CAMY
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LES FORMES DE GOUVERNEMENTS
ET DE RÉGIMES POLITIQUES (cours 2001).
Il faut distinguer entre gouvernements et régimes politiques. La typologie des gouvernements est ancienne ; Platon et Aristote en avaient déjà établi une. La typologie des régimes est plus récente. Elle a été développée surtout à l'époque moderne, à partir du XVIIIe siècle. On peut tout à fait combiner ces deux genres de typologies.
§1 les formes de gouvernements
A définition
Les gouvernements sont des modes
de répartition et de transmission du pouvoir d'État en fonction
de l'origine de la souveraineté. Le critère de distinction
entre gouvernements dépend de la réponse à la question
: « QUI gouverne et au nom de quoi ? ». On distinguera
ainsi principalement aujourd'hui entre la Royauté (un Roi gouvernant
souveraineté de droit divin) et la Démocratie (souveraineté
démocratique).
B origine
Ce critère tenant compte de l'identité
du souverain a été utilisé par la pensée politique
très tôt, notamment à partir de Platon, Aristote. Pour classer
les régimes, ces auteurs ont recherché qui gouvernait au sens
large, ou encore qui était titulaire du pouvoir d'édicter
les normes juridiques. Ils ont ainsi décrit des formes de gouvernement
dont certaines sont devenues archaïques. Il en est ainsi du gouvernement
des meilleurs, l'aristocratie, du gouvernement des plus riches, l'oligarchie.
Ce critère est à la fois quantitatif
et qualitatif notamment pour Platon.
- quantitatif : pour classer les régimes,
on peut compter le nombre des titulaires de l'autorité souveraine. Un
seul titulaire : monarchie, quelques-uns : aristocratie, tous : démocratie
- qualitatif : à chaque gouvernement
correspond une vertu ou un défaut qui sont la vertu ou le défaut
des titulaires de la souveraineté. La prise en compte de ces qualités
permet à la fois de hiérarchiser les gouvernements et de connaître
les risques de dérive de chacun d'entre eux. Par exemple, chez Platon,
on trouve cette hiérarchie : 1. la monarchie est associée à
la sagesse mais aussi à l'orgueil ; c'est pourquoi elle peut dériver
en tyrannie ; 2. l'aristocratie est associée au courage, mais aussi au
goût pour la richesse, les honneurs [dérive en ploutocratie] ;
3. la démocratie est associée à l'égalité
et à l'égalitarisme [dérive en anarchie].
C Evolution
Les théoriciens modernes
de l'Etat (Bodin, Hobbes, Montesquieu) restent encore fidèles à
ce critère. Par exemple Hobbes dans le Léviathan explique
que « la différence qui existe entre les Républiques
repose sur celle qui se trouve entre leurs souverains... ». D'où
sa distinction entre trois types de Républiques (ou États)
:
1 quand le représentant (celui
qui détient le pouvoir souverain) est un seul homme, la République
est une Monarchie
2 quand « c'est l'assemblée
de tous qui voudront part à la réunion, c'est une démocratie
ou une République populaire »
3 quand « c'est l'assemblée
d'une partie seulement de l'ensemble, on l'appelle Aristocratie »
(p. 192).
Cependant ils sont tentés
d'abandonner la relation entre régime et certaines vertus ou certains
défauts des titulaires de la souveraineté (cf. Bodin).
Mais ils vont tenter de rationaliser
la typologie fondée sur ce critère. C'est le cas de Montesquieu
qui veut s'appuyer sur les lois ou les Constitutions pour déterminer
ce qu'il appelle « le principe » ou ce qui fait agir chaque
gouvernement. Il ne s'agit plus dit-il de s'appuyer sur « des choses
d'accident comme les vertus ou les vices du prince » tel Aristote.
(p. 306 L'esprit des lois). Ils vont aussi hiérarchiser les gouvernements
de manière nouvelle : ainsi, pour Montesquieu : la République
(principe : vertu), la Monarchie (principe : honneur), le Despotisme (principe
: crainte).
Cette typologie des gouvernements
va perdre de sa pertinence à partir du XVIIIe siècle pour
2 raisons :
- Le déclin de l'idée
de souveraineté de droit divin en Occident. Cela a conduit à
la disparition des royautés ou à leur transformation en monarchies
de façade donnant au roi le seul pouvoir exécutif (France
1791). Se multiplièrent les gouvernement fondés sur une souveraineté
démocratique. En conséquence, il ne va plus exister qu'une
seule catégorie de gouvernements : la République populaire
ou la démocratie ; d'où la nécessité d'un nouveau
tri et d'un nouveau critère.
- L'attention portée par
les penseurs politiques des Lumières (Locke, Burlamaqui, Montesquieu
[Livre XI chapitre 6 de L'esprit des lois, etc.) à l'idée
de séparation des pouvoirs, comme condition de préservation
de la liberté politique. La question de la souveraineté comme
autorité suprême passe ainsi au second plan.
D'où l'apparition d'un nouveau
critère qui peut compléter le premier :
§2 les formes de régimes politiques
A définition
On appelle régime politique
le mode de répartition et de transmission du pouvoir d'Etat en fonction
de différentes techniques de collaboration des organes constitutionnels.
Le critère de distinction entre régimes politiques dépend
de la réponse à la question : « COMMENT est gouverné
un Etat ? ».
On peut distinguer régime
constitutionnel et régime politique. Le premier se déduit
uniquement des normes juridiques constitutionnelles ; le second se fonde
aussi sur des usages politiques. Par exemple l'Angleterre a pour régime
constitutionnel une monarchie absolutiste et pour régime politique
une monarchie parlementaire.
B le critère moderne de classification
À partir du 18e, on
porte attention aux modalités de distribution du pouvoir d'Etat
et moins au fait de savoir qui est le souverain. La théorie
de la séparation des pouvoirs notamment développée
par Montesquieu dans L'esprit des lois (1748) est la principale technique
utilisée pour distribuer, partager le pouvoir d'Etat. Indépendamment
de sa portée pratique (garantir la liberté politique), elle
va donc permettre de classer les régimes en tenant compte de la
manière dont ils appliquent cette théorie. On s'attachera
ainsi à savoir si le pouvoir d'Etat est partagé ou non, si
les organes exerçant ce pouvoir sont indépendants les uns
de autres, etc. La théorie de la séparation des pouvoirs
peut donc devenir un critère permettant de classer les régimes
mais aussi de les hiérarchiser. À partir des idées
de Montesquieu, on arrive à une typologie de base fort simple que
les juristes constitutionnalistes ne cesseront de complexifier, d'adapter.
a) Typologie de base à partir
de Montesquieu
1) Régimes de confusion des
pouvoirs : tout le pouvoir d'Etat est exercé par un seul organe.
Si c'est le roi, il s'agit d'une
monarchie absolutiste qui peut dériver en "Gouvernement despotique"
car qui a du pouvoir aura tendance à en abuser. Il en est de même
si c'est le peuple, la république populaire peut elle aussi devenir
despotique.
2) Régimes de séparation
des pouvoirs : l'exercice du pouvoir politique est partagé entre
différents organes d'Etat. Les auteurs du 18e siècle distinguent
entre régimes de séparation des pouvoirs selon l'identité
du titulaire du pouvoir exécutif ; ce qui conduit à retrouver
les termes utilisés pour classer les formes de gouvernement mais
en leur donnant un nouveau sens. Ainsi l'aristocratie qui est le meilleur
des régimes pour Rousseau est celui non pas où les aristocrates
sont souverains mais où les aristocrates détiennent le pouvoir
exécutif.
On peut remarquer qu'une autre distribution
des régimes de séparation des pouvoirs peut être conçue
en tenant compte des divergences entre Montesquieu et Rousseau. Pour le
premier, cette séparation doit être faite avec souplesse (interaction
entre les organes) et doit permettre aux différentes classes (ordres)
de la société d'être représentées dans
l'Etat ; ce qui aboutira à un"Gouvernement modéré".
Montesquieu parle ainsi de « balance des pouvoirs », technique
qui sera appliquée en France en 1791 et aux Etats-Unis dès
1787. Il s'oppose sur ce point à Rousseau qui conçoit la
séparation des pouvoirs selon un principe de « spécialisation
des organes » (application en 1793, pas d'interaction entre les organes).
b) Typologie contemporaine
Typologie utilisée aujourd'hui.
Elle part toujours du critère de la séparation des pouvoirs
et donc ne fait que complexifier la typologie à partir Montesquieu.
1) Les régimes de confusion
des pouvoirs
On distingue entre régimes
de confusion au profit :
- de l'Exécutif : on parlera
de dictature ou encore de régime présidentialiste. Exemple
: les régimes présidentialistes d'Afrique noire dont on ne
finit pas d'annoncer la disparition.
- du Législatif : on parlera
de régime d'Assemblée ou encore de régime conventionnel.
Exemple : la Terreur en France.
- du Judiciaire : on parlera de
Gouvernement des juges. Pas d'exemple connu ; tout au plus pourra-t-on
parler de risque de Gouvernement des juges lorsque certaines cours suprêmes
ou constitutionnelles s'opposent à certaines époques systématiquement
aux pouvoirs législatif et exécutif pour des raisons moins
de droit qu'idéologiques. (Cf. aux États-Unis pendant le
New Deal sous le Président Roosevelt dans les années 3O).
2) Les régimes de séparation
des pouvoirs
- Les régimes présidentiels
:
Ce sont des régimes qui sont
restés fidèles à Montesquieu ayant appliqué
à la lettre (ou presque) sa théorie : soit les États-Unis
de 1787 et la France de 1791 et 1795. Cela se traduit par l'existence :
- d'une collaboration minimale des
organes politiques
- de facultés d'empêcher
entre ces organes politiques (par exemple le droit de veto au profit du
chef de l'État).
Ces régimes ont eu en Europe,
notamment en France une faible durée de vie. La raison essentielle
tenant au fait qu'ils ne permettent pas de résoudre facilement les
conflits qui peuvent surgir entre les organes politiques. Si ces organes
ne peuvent en effet se révoquer (et permettre ainsi que joue l'arbitrage
du peuple), Le risque est grand que des blocages apparaissent, que
la Constitution ne soit plus respectée et finalement que le régime
disparaisse dans un coup d'État au profit de l'un des organes. Exemple
: le coup d'État de 1851 au profit de Louis Napoléon Bonaparte
qui met fin au régime présidentiel organisé par la
Constitution de 1848.
Par contre, aux États-Unis,
le régime présidentiel s'est maintenu grâce notamment
au développement de la collaboration entre le Président et
le Congrès. Cependant, le président ne pouvant toujours pas
dissoudre un Congrès qui lui-même ne peut mettre en jeu la
responsabilité politique du Président, les conflits restent
nombreux et font que le régime est souvent en crise. Malgré
tout le régime présidentiel à l'américaine
reste un modèle qui continue d'être attractif, notamment en
France.
- Les régimes parlementaires
:
Ce sont les régimes qui naturellement
ont en Europe succédé aux régimes présidentiels.
Ils ont adapté en la radicalisant la théorie de Montesquieu.
Ce phénomène s'est produit surtout au XIXe siècle.
Exemple : le régime parlementaire en France né de la pratique
à partir de la Restauration (1815).
Ces régimes se définissent
ainsi :
- collaboration très importante
entre les organes
- présence de facultés
de révoquer détenues par l'Exécutif et le Législatif
: droit de dissolution (généralement aux mains du chef de
Gouvernement), droit de renverser le Gouvernement (généralement
aux mains de la première Chambre ; soit en France sous la Vè
république, l'Assemblée Nationale). Les régimes parlementaires
ont commencé par être dualistes pour devenir ensuite monistes.
On appelle dualiste un régime parlementaire dans lequel le Gouvernement
est responsable devant le Parlement mais aussi devant le Chef de l'État.
On appelle moniste un régime parlementaire dans lequel le Gouvernement
n'est responsable que devant le Parlement.
Les régimes parlementaires
ont commencé par être dualistes du fait que le chef de l'État
à l'origine possédait une forte légitimité
et des compétences importantes qui faisaient de lui le véritable
chef du Gouvernement. En conséquence, il pouvait exiger la démission
de ministres en désaccord avec lui. Exemple : le régime parlementaire
en France sous la Monarchie de Juillet de 1830 à 1848 dominé
par le roi Louis-Philippe.
Presque tous les régimes
de séparation des pouvoirs nouvellement créés au XXe
siècle sont des régimes parlementaires de type moniste. Exemple
: les régimes tchèques, polonais, hongrois nés après
l'effondrement du communisme à l'Est. L'exception est le régime
russe ; ce régime russe est un régime Parlementaire en tant
que la dissolution de la Douma d'État est prévue (au profit
du Président) ainsi que la révocation du Gouvernement par
la Douma à la suite d'un vote de défiance. Mais il se trouve
que le Gouvernement est responsable aussi devant le Président. On
peut donc parler de résurgence du régime parlementaire dualiste.
Les régimes parlementaires
contemporains monistes ou dualistes peuvent être classés en
deux autres types : majoritaires et non majoritaires
- Si les élections législatives
conduisent à la victoire d'une coalition de partis peu nombreux,
unis, disciplinés (obéissant aux consignes de leurs leaders),
alors on parle alors de régimes parlementaires majoritaires. Ces
régimes ont l'avantage d'être stables politiquement car le
Parlement n'aura pas la possibilité politique de s'opposer au Gouvernement
et de le renverser. Ces régimes ont un inconvénient. Ils
connaissent en pratique une tendance à la confusion des pouvoirs
au profit de l'Exécutif. On parlera de tendance présidentialiste.
Exemple : l'Angleterre, la R.F.A., le Japon, la France de la Vème
République.
- Si les élections législatives
conduisent à la victoire d'une coalition de partis nombreux, non
unis, indisciplinés (n'obéissant pas aux consignes de leurs
leaders), alors on parle de régimes parlementaires non majoritaires.
Ces régimes ont l'inconvénient d'être instables politiquement
car le Parlement a la possibilité de s'opposer au Gouvernement et
de le renverser (ce dont ils ne se prive pas). Dès lors, ils connaissent
une tendance à la confusion des pouvoirs au profit du Parlement.
On parle de dérive vers le Régime d'Assemblée. Exemple
: l'Italie jusqu'en 1993, Israël, la France de la IVe République.
C Critique de la classification moderne
des régimes
a) critique scientifique
- catégories hétérogènes
: on utilise en même temps des élements juridiques comme l'existence
d'un droit de dissolution (ordre de ce qui doit être, textuel) et des
élements politiques comme la présence d'une majorité stable
au Parlement (ordre de ce qui est, de l'effectivité, pratique).
- catégories sans portée cognitive
: les critères juridiques utilisés ne permettent pas déterminer
la véritable nature d'un régime. Par exemple, il ne permettent
pas de déterminer si un organe est réellement dominant (il peut
être titulaire de droits qui ne se révélent pas être
des pouvoirs) ou enore quelle est la nature réelle d'un régime
(confusion ou non des pouvoirs).
b) critique philosophique
La classification contemporaine héritée
largement de Montesquieu ne permet pas de rendre compte de régimes
nouveaux de confusion des pouvoirs nés au 20e siècle : les régimes
totalitaires ou de domination totale.
Ces régimes peuvent avoir une apparence
constitutionnelle très classique : le régime nazi qui avait maintenu
la Constitution de Weimar organisant un régime parlementaire ; le régime
soviétique qui avait une Constitution organisant un régime de
spécialisation des pouvoirs. Pourtant, en deçà du droit
constitutionnel existait une autre organisation plus cachée mais effective
du pouvoir réel au profit d'un leader et de son parti gouvernant par
la terreur grâce à une police secrète.