COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL GÉNÉRAL
 
Cours 
  écrit par O. CAMY 
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Chapitre 3 : le droit constitutionnel théocratique
Le droit constitutionnel théocratique dont la source se veut exclusivement religieuse est lui aussi fondé sur des principes qui s'opposent à ceux du droit constitutionnel classique occidental (XVIIIe siècle). Nous prendrons pour exemple celui qui est issu de l'Islam parce qu'il est le plus vivace, connaît une application dans certains Etats. Ainsi, on a assité à la tentative de fondation d'États dits islamistes dans de nombreux pays (cf. l'Afghanistan des Talibans, l'Iran, le Pakistan, le Soudan). Cependant, il existe des mouvements intégristes issus d'autres religions (le catholicisme en Irlande, le judaïsme en Israël avec les partis religieux) qui revendiquent aussi la création d'un État théocratique.
Concernant l'Islam, 
  il faut préciser que, schématiquement deux conceptions du droit 
  constitutionnel répandues dans les pays musulmans s'affrontent aujourd'hui 
  : 
  - l'une " modérée " appliquée dans la majorité des 
  pays musulmans notamment au Maghreb (Maroc, Tunisie...) et au Machrek (Égypte). 
  Selon les partisans de cette conception, il existerait une compatibilité 
  entre l'Islam et le droit constitutionnel occidental classique. Il est tout 
  à fait possible d'importer des institutions et techniques juridiques 
  occidentales à condition de séparer Religion et Politique.  
  Cela sans heurter la Religion musulmane. En effet, le Coran ne parlerait pas 
  d'Etat, d'Etat islamique, etc. ; il serait une affaire de cœur, de conscience 
  avant tout. La séparation Religion-Politique n'excluerait pas cependant 
  que le législateur s'inspire de la religion musulmane et donc que le 
  Coran devienne une source de droit parmi d'autres. 
  - l'autre " radicale " appliquée avec des nuances importantes dans une 
  minorité de pays musulmans comme l'Iran, le Soudan, le Pakistan et revendiquée 
  par une partie de l'opposition religieuse en Algérie, Égypte, 
  Turquie (Cf. le parti de la prospérité de Neematin Erbakan dissout 
  par la Cour Constitutionnelle turque en 1998), etc. Selon les partisans de cette 
  conception, le droit constitutionnel occidental est en partie incompatible avec 
  l'Islam qui fournirait un modèle de gouvernement original, des normes 
  juridiques propres pouvant conduire à la création d'États 
  théocratiques dits " islamistes ". Cette conception se réfère 
  à un islamisme fondamentaliste ou intégriste né dans les 
  années 30, propagé par des organisations comme les " Frères 
  musulmans " en Égypte (cf. Hassan al-Banna) et " les Dévoués 
  de l'Islam " en Iran ; deux mouvements qui ont été sévèrement 
  réprimés, l'un par Nasser en 1954 et l'autre par le Chah d'Iran 
  en 1956. Ce qui est sans doute une des causes de la radicalisation (et notamment 
  du recours à la violence) de certains courants islamistes. 
  À partir de l'exemple de l'Iran, des États du Golfe, nous allons 
  étudier les principes suivants déduits de la seconde conception 
  : 
  1 État théocratique 
  2 Représentation non démocratique 
  3 Confusion des pouvoirs au profit  d'un guide religieux 
  4 Rejet de la notion occidentale de libertés publiques. 
  Il est évident que ces principes sont appliqués avec plus ou moins 
  de rigueur selon les Etats (Cf. Le statut de la femme n'est pas le même 
  en Iran et en Arabie Saoudite). À chaque fois, nous essaierons de fournir 
  les contre arguments des partisans de la conception modérée. 
Section 1 État 
  théocratique 
  §1 Définition 
  C'est un État dans lequel existe un gouvernement de Dieu ou de son Eglise. 
  Toutes les personnes, même publiques ou étatiques sont soumises 
  à une seule religion comme religion d'État. Cette religion légitime 
  le pouvoir politique (voire le choix de son titulaire) et est considérée 
  comme la source unique de tout le droit. 
§2 l'application 
  dans les Etats islamistes 
  Les États islamiques avec plus ou moins de rigueur se veulent des Etats 
  théocratiques. Ce qui se traduit par l'existence d'une souveraineté 
  de droit divin et d'un droit dont la source exclusive serait religieuse. 
  
  A) la souveraineté est de droit divin 
  Tout le pouvoir vient de Dieu. En théorie, il n'y a pas d'autre autorité 
  qu'Allah qui ne saurait la déléguer. 
  B) le droit aussi vient de Dieu 
  a) Il doit trouver sa source : 
  - dans le Coran ou révélation divine faite au prophète 
  Mahomet (le Coran constitué de versets regroupés en chapitres 
  ou sourates révélés au prophète  à Médine 
  et à La Mecque) 
  - à défaut dans la Sunna, ou "coutume ancestrale" - c'est-à-dire 
  les récits des faits et gestes du Prophète recueillis par ses 
  Compagnons et interprétés par les ulémas (docteurs considérés 
  comme "les héritiers du prophète" produisant une interprétation 
  juste du Coran). On appelle hadîth, les récits relatifs au comportement 
  de Mahomet (ou parfois de ses compagnons) transmis par les témoins directs 
  et indirects. Ils sont extrêmement nombreux, s'élevant à 
  plusieurs centaines de mille et plus ou moins fiables. Ensemble le Coran et 
  la Sunna constituent l'essence de la Charî'ah ou Loi révélée. 
  
  b)  C'est une source exclusive 
  Insistons sur ce point : le droit (Mu'âmalât) selon les islamistes 
  serait littéralement ou intégralement contenu dans le livre de 
  Dieu (c'est pourquoi on parle d'intégrisme). On doit y trouver directement 
  toutes les normes nécessaires de droit civil, pénal, constitutionnel 
  ; normes qui suffisent à organiser la vie d'un Etat islamiste et celle 
  des individus. 
  Exemple : le cas de l'Arabie Saoudite. 
  - la charî'a est appliquée directement sans l'intermédiaire 
  d'une codification, d'une mise en forme ou adaptation par la loi ordinaire ou 
  la Constitution. 
  - la Constitution saoudienne n'a pas le statut d'une Constitution à l'occidentale 
  : elle n'a pas d'autonomie par rapport au droit divin. D'ailleurs son article 
  1 prévoit que le Coran et la Sunna sont la " Constitution [substantielle] 
  " de l'Arabie Saoudite. 
  De la même façon, les Talibans demandent la stricte application 
  de la charî'a dans le traitement notamment des affaires de l'Etat même 
  sur un plan international. Selon eux, la charî'a semble pouvoir tout résoudre. 
§3 : le 
  refus des Etats musulmans modérés 
  Les États musulmans modérés refusent l'idée de théocratie. 
  D'où une triple absence : 
  A Absence de souveraineté de droit divin 
  La souveraineté dans ces Etats est démocratique : elle appartient 
  à la Nation (Maroc article 1er) ou au peuple. 
  B Absence de Religion d'Etat 
  Il est vrai que l'Islam est souvent reconnu comme religion d'État (Algérie, 
  art.2, Maroc, art.6, Tunisie, art.1.), Mais cette disposition signifie seulement 
  que l'Islam peut inspirer (et cela parfois de manière symbolique) le 
  droit dans certaines de ses branches. Pour justification, les partisans de la 
  conception modérée font remarquer que la notion de Religion d'Etat 
  ou de théocratie est absente de la charî'a ou de la tradition musulmane. 
  
  Dès lors, rien n'oblige l'État à l'appliquer un droit exclusivement 
  islamique. 
  C Absence d'un droit exclusivement islamique 
  Aucun de ces pays n'applique un droit strictement islamique. D'abord, parce 
  que des domaines entiers sont gérés par le droit occidental (notamment 
  la sphère publique), ensuite parce que le droit islamique, lorsqu'il 
  est appliqué a été interprété, adapté 
  (Cf. le législateur tunisien) ou modifié (cf. le législateur 
  turc qui a interdit la polygamie). Les partisans de la conception modérée 
  justifient cette position par les arguments suivants : 
  a) l'impossibilité d'utiliser directement la chari'a 
  Si on veut appliquer à la lettre la loi religieuse, on est obligé 
  de faire comme si son sens était évident ou ne devait pas faire 
  l'objet de raisonnements, de constructions doctrinales. On oublie ou on refoule 
  le moment de l'interprétation. Tout cela parce qu'on a affaire à 
  un texte d'origine divine.  Cette fiction a plusieurs conséquences  
  : 
  - En voulant appliquer littéralement la charî'a, on aboutit en 
  fait à privilégier sans le dire certaines interprétations 
  doctrinales, parfois anciennes ou dépassées qui ne tiennent pas 
  compte de l'esprit du Coran ou de l'évolution des sociétés 
  musulmanes. 
  - En voulant appliquer à la lettre la charî'a sans dire quelle 
  position on a choisie, non seulement on privilégie une interprétation, 
  mais on renforce aussi le rôle des prédicateurs et des militants. 
  Ces derniers considérés comme des spécialistes de l'application 
  de la loi, deviennent des guides, des autorités auto-habilitées 
  à faire avancer la société vers le gouvernement de Dieu 
  qui est en fait leur gouvernement. Par exemple, en Iran en 1979, les experts 
  du droit musulman prétendront rédiger seuls une Constitution iranienne 
  qui leur donnera des pouvoirs exorbitants. 
b) les lacunes 
  de la charî'a 
  La loi divine ne pourrait fournir des normes juridiques que dans le domaine 
  du droit privé ; elle serait presque muette dans le domaine du droit 
  public. Ainsi, le Coran et les Hadith ne fixent des règles précises 
  que pour ce qui concerne le mariage, le divorce, la protection de l'enfance 
  etc., soit le statut personnel. Il faut ajouter quelques règles fondamentales 
  comme l'interdiction de l'usure (ribä) ou l'obligation de l'aumône 
  légale (zakät). Voilà pourquoi un droit public (notamment 
  constitutionnel) spécifiquement ou intégralement musulman serait 
  une utopie. 
  Si on veut absolument tirer des normes de droit public de la charî'a, 
  on est amené à faire des extrapolations  et l'on travestit 
  le sens des mots du Coran.  (Cf. l'exemple des principes d'exégèse 
  du Coran des Mojâhedines du peuple en Iran (organisation révolutionnaire 
  islamiste), la " communauté des croyants " devient une " société 
  dynamique en mouvement dialectique vers la perfection ", le monothéisme 
  devient " égalitarisme ", la jehäd une guerre de libération, 
  le combattant sacré (mojâhed) un guérillero) . 
Nota : la loi religieuse 
  devient idéologie au sens où l'on essaye de tirer d'elle des normes 
  morales mais aussi politiques et juridiques, valables dans les domaines de la 
  vie privée et publique, capables de tout régir. Les recueils contemporains 
  de fatwâ (consultations juridiques) illustrent cela à la perfection.  
  On y traite à la demande des fidèles les questions suivantes : 
  est-il licite de vendre des appareils de radio et de télévision, 
  quid du Coca-Cola et du Pepsi-Cola ? etc. Le sermon devient un média 
  idéologique : le prédicateur ne prononce pas seulement des discours 
  édifiants, mais donne aussi des ordres, prend des décisions, émet 
  un avis sur des affaires politiques et en général sur des affaires 
  intéressant la communauté. 
  On aboutit à une politisation très forte de la religion. 
Section 2 : représentation non démocratique
§1 le rejet 
  de la représentation démocratique occidentale par les Etats islamistes 
  
  A) La justification 
  Un État ou République islamique rejette le principe de représentation 
  démocratique parce que ce principe présuppose que la loi est le 
  produit de la volonté des représentants du peuple ou de la Nation.  
  Or, la loi ou les règlements ne peuvent être selon la conception 
  radicale que l'explicitation du droit coranique. C'est Dieu qui est législateur 
  et non les hommes. Le pouvoir législatif proprement dit a été 
  exercé une fois pour toutes par le prophète, ou plutôt par 
  Dieu parlant par la bouche de son Envoyé. Cela n'a donc pas de sens d'élire 
  ou de désigner des députés pour légiférer 
  au sein d'un Parlement. 
  B) Les exceptions 
  Il faut noter qu'en pratique les États islamiques ont été 
  amenés à faire certains compromis. Il en est ainsi du Koweït 
  qui a permis la désignation d'une Chambre législative élue 
  par un corps électoral très étroit (15 % des personnes 
  vivant au Koweït ; les femmes n'ayant pas le droit de vote). Les dernières 
  élections législatives ont eu lieu en octobre 1996. Il en est 
  aussi de l'Iran qui a mis en place une Chambre des députés qui 
  peut théoriquement légiférer librement au nom de la Nation 
  iranienne. Mais les députés doivent prêter un serment religieux 
  (principe 67) et les lois votées doivent être conformes aux " commandements 
  de l'Islam " ; ce qui est vérifié par un Conseil de surveillance 
  (principe 91) composé de docteurs du dogmes religieux et de juristes 
  islamistes. D'autre part, l'Iran admet le principe du référendum 
  ; un référendum du 30 mars 1979 a d'ailleurs permis l'instauration 
  de la République Islamique (98 % de votants ayant dit oui) et élit 
  tous les 4 ans un Président de la République aux pouvoirs réduits. 
§2 la critique 
  des modérés 
  Les partisans de la conception modérée estiment qu'une représentation 
  démocratique est possible sans trahir le Coran. Ce qui explique l'existence 
  de parlements élus capable de légiférer librement dans 
  les Etats musulmans (cf. la Chambre des Représentants au Maroc, titre 
  III de la Constitution de 1992). Cela a une double conséquence  
  : 
  A le droit positif peut être totalement de source laïque 
  C'est le cas en Turquie ou en Albanie. Le Coran n'est invoqué que pour 
  ce qui concerne la sphère de la vie privée et ses prescriptions 
  n'ont alors qu'une valeur morale. 
  B le droit positif peut être en partie inspiré du Coran 
  
  Pour le droit positif inspiré de la Charî'a, la solution souvent 
  adoptée consiste à distinguer entre les principes de base immuables 
  du Coran et les dispositions qui peuvent être appliquées différemment 
  selon les pays et les époques.  Cela suppose que soient autorisées 
  l'interprétation, l'adaptation du droit musulman traditionnel ; que soit 
  promu l'Ijtihad (effort intellectuel d'interprétation). C'est le cas 
  par exemple en Tunisie. 
  La proportion de droit inspiré de l'islam va varier selon les pays et 
  fait l'objet de débats. Par exemple au Maroc où l'on discute sur 
  le maintien ou non du Code personnel inspiré par le droit musulman traditionnel 
  qui autorise la répudiation et la polygamie (en fort déclin). 
  En Egypte, le nouvel article 2 de la Constitution adopté en 1980 renforce 
  le poids du droit musulman. Il prévoit que les principes de la loi islamique 
  constituent "la source principale" (et non plus une source) de la législation. 
Section 3 : 
  confusion des pouvoirs au profit d'un guide religieux 
  L'État islamique là encore veut appliquer de façon stricte 
  le Coran, source révélée ou encore la Sunna, source inspirée 
  pour construire un régime politique. Mais ces textes ne font référence 
  qu'à un simple schéma théorique ou idéal de société 
  musulmane. Une transposition dans la pratique suppose des adaptations importantes 
  ou le retour comme le proposent certains courants intégristes (Les Talibans) 
  à un système de confusion des pouvoirs (cf. le Califat) qui s'était 
  répandu dans les pays musulmans jusqu'à sa suppression en 1928 
  par la Turquie. 
  Les partisans de la conception modérée expliquent qu'on ne saurait 
  sans trahir le Coran lui-même ériger un idéal de société 
  musulmane en un régime politique effectif ou encore moins restaurer un 
  Califat qui n'est pas prévu par la loi divine. 
A l'Etat islamiste 
  comme régime de confusion  des pouvoirs 
  La confusion des pouvoirs dans les Etats islamistes est généralement 
  justifiée par la référence à une forme idéale 
  de société musulmane qu'on trouve dans la loi révélée. 
  Sa mise en pratique a conduit à des transpositions autocratiques. 
a) La référence 
  à une forme idéale de société musulmane 
  On peut déduire de la charî'a une forme de communauté. On 
  peut même aller jusqu'à définir trois pouvoirs dont les 
  titulaires seraient les suivants : 
  - le pouvoir ou magistère législatif appartient au Coran seul. 
  
  - le pouvoir judiciaire appartient à tout croyant qui, par la lecture 
  assidue et fervente du Coran acquiert avec la mémoire des définitions 
  et l'intelligence des sanctions qu'il édicte le droit de les appliquer 
  
  - le pouvoir exécutif à la fois civil et canonique n'appartient 
  qu'à Dieu seul. 
b) La mise en pratique 
  
  1) dans l'histoire : 
  Ce schéma idéal a été mis en pratique lors des débuts 
  de l'ère islamique (l'Hégire).  Il a justifié l'organisation 
  d'un type de régime politique appelé Califat : dans ce régime, 
  il y a primauté du Calife [ou Imam selon les chiites pour qui le chef 
  doit être issu de la famille du prophète] en tant que représentant 
  de Dieu, chef unique, exerçant le pouvoir exécutif. Cet intermédiaire 
  va bénéficier d'une autorité absolue. Car obéir 
  au Calife et à ceux qu'il désigne, c'est obéir au prophète 
  dont il est le remplaçant, et obéir au prophète, c'est 
  obéir à Dieu. Cependant, on pourra lui désobéir 
  toutes les fois qu'il commande une chose qui va contre la Loi coranique. 
  
  Le Califat laissera la place au fil des siècles à des " sultanats 
  ", c'est-à-dire le plus souvent à des monarchies héréditaires. 
  C'est le Sultan fastueux de Bagdad, de Cordoue ou Istanbul, l'Imam fatimide 
  du Caire etc... Bref le résultat a presque toujours été 
  une autocratie pas toujours éclairée un peu comme en Europe lorsque 
  la religion catholique a servi à justifier la monarchie absolue. Notons 
  que ces autocraties devaient souvent faire face à des émeutes, 
  séditions qui se fomentaient très rapidement car persistait une 
  liberté extrême d'appréciation des actes gouvernementaux 
  en fonction de la loi divine. 
  2) aujourd'hui : 
  Dans les États islamiques contemporains, on constate qu'au nom de ce 
  schéma idéal, sont créés des régimes où 
  un Guide spirituel prend en charge directement le pouvoir gouvernemental (comme 
  dans les États du Golfe) ou le surveille étroitement (comme en 
  Iran où le Guide, au début l'imam Khomeyni, contrôle l'exercice 
  des pouvoirs exécutif, mais aussi législatif et judiciaire). 
  
  Exemple : en Arabie Saoudite, l'essentiel du pouvoir exécutif appartient 
  à un monarque héréditaire qui gouverne seul au nom du " 
  Saint Coran et de la Tradition du vénérable prophète ", 
  en tant que " serviteur des deux lieux saints de l'islam " Médine et 
  La Mecque. Il n'y a pas de Parlement mais seulement depuis 1993 un conseil consultatif 
  de 60 membres nommés par le Roi. En Iran, il est prévu que les 
  pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire soient " placés 
  sous le contrôle de  l'autorité de l'Imamat " (57e principe). 
  Cet Imamat est à la charge d'un docteur du dogme ou à sa place 
  un Conseil de direction ayant les fonctions de guide (107e principe) ; ce docteur 
  est censé avoir " compétence scientifique pour se prononcer sur 
  les problèmes de religion " et " perspicacité politique (...) 
  capacité de gestion " (109e principe). Il nomme la plus haute autorité 
  judiciaire, il détient le commandement suprême des forces armées, 
  le pouvoir de révoquer le Président de la République. Il 
  faut ajouter qu'a été institué aussi un Conseil de surveillance 
  qui contrôle la conformité de toutes les lois votées par 
  la Chambre des députés avec les commandements de l'islam (principe 
  96). 
(Nota : les Talibans en Afghanistan prônent le retour au Califat du début de l'ère islamique).
B le refus de la 
  confusion des pouvoirs par les Etats musulmans modérés. 
  
  Les Etats musulmans modérés estiment que s'il existe dans la chari'a 
  une communauté politique, c'est un idéal, presque une utopie qui 
  ne peut déboucher sur l'instauration de pratiques politiques concrètes. 
  C'est peut être seulement une communauté spirituelle. En tout cas, 
  cette communauté a peu à voir avec le califat, autocratie de fait, 
  imposée par les armes qui ne peut être justifié par les 
  principes fondateurs de l'Islam ou la pratique du Prophète. 
  L'auteur le plus souvent évoqué par les modérés 
  est le théologien égyptien Ali Abderraziq (1888-1966) dont l'ouvrage 
  L'islam et les fondements du pouvoir (1925) a provoqué de nombreuses 
  polémiques à l'époque.  Selon lui, le califat a été 
  un pouvoir de fait, une violence faite à la communauté musulmane 
  sauf au tout début du Califat. En réalité, la religion 
  musulmane ne justifie ni le Califat, ni un quelconque Etat islamiste qui n'a 
  jamais existé pas même aux premiers temps de l'Umma. Le prophète 
  est un guide spirituel et non un roi de ce monde. Aucun principe religieux n'interdit 
  donc aux musulmans d'édifier un Etat sur la base de principes politiques 
  modernes, comme la séparation des pouvoirs. 
    
Section 4 le rejet de la notion occidentale de libertés fondamentales.
C'est le point le plus délicat. Ici les deux conceptions se contredisent, se heurtent le plus nettement. La conception radicale tend à démontrer que le régime des libertés en terre d'Islam doit être fondé sur une lecture stricte, littérale de la Charî'a qui conduit à refuser la vision occidentale des droits de l'homme comme des absolus. La conception modérée refuse cette lecture et affirme soit qu'on peut réinterpréter de façon libérale le droit musulman traditionnel, soit qu'est légitime une séparation définitive entre religion et droit qui permettrait une véritable émancipation des individus, notamment des femmes.
A la conception 
  radicale 
  Si comme certains courants fondamentalistes, on réduit la loi divine 
  et le droit musulman qui en été tiré à sa lettre, 
  aux rituels visibles, alors les droits fondamentaux ne sont pas des absolus 
  comme en Occident ; ils dépendent de la révélation et seront 
  protégés par l'Etat islamiste en fonction de l'implication de 
  chacun vis-à-vis de l'Islam. Voilà pourquoi, lorsque des droits 
  fondamentaux (individuels ou sociaux) sont proclamés dans les États 
  islamistes (comme l'Iran), ils sont toujours encadrés, finalisés 
  (c'est le cas des libertés d'opinion, d'association, de réunion, 
  de travailler) et donc  niés selon la conception classique et occidentale 
  du droit constitutionnel. La Déclaration islamique des droits de l'Homme 
  rendue publique en 1981 fait de même. 
  L'égalité entre les individus est conditionnée. Elle dépend 
  : 
  - du fait que ces individus s'efforcent ou non de parvenir à l'adhésion 
  à la vérité révélée et à l'observation 
  de la loi. Cela aboutit concrètement à donner des droits différents 
  aux individus en fonction de leur degré d'engagement dans la défense 
  de l'islam. On distinguera entre gens du livre et athées ou polythéistes. 
  Les premiers, juifs ou chrétiens, voir les Mages (mazdéens) sont 
  admis à vivre dans une société musulmane ; ils bénéficient 
  du statut de dhimmi-s (protégés) qui leur assure liberté 
  de croyance et de culte, capacité commerciale mais ils sont tenus de 
  verser un impôt, sont frappés de certaines incapacités vis-à-vis 
  des musulmans (interdiction d'épouser une musulmane, d'hériter 
  d'un musulman, dépréciation de leur témoignage en justice....).  
  Les seconds n'ont le choix en théorie qu'entre la conversion ou la mort, 
  leurs femmes et enfants étant réduits en esclavage. De même 
  pour les renégats de l'islam. 
  - du fait  que ces individus ont vocation ou non à accomplir les 
  droits de Dieu. Cela aboutit à différencier nettement le statut 
  de l'homme et de la femme. L'homme musulman honorable, sain d'esprit etc. a 
  vocation à être désigné comme Imam (celui qui dirige 
  la prière collective), son témoignage est reçu en justice 
  avec une force entière. Le paradis est organisé en sa faveur. 
  La femme n'a pas ce statut et donc des droits limités dans leur exercice. 
  (Cf. Les discussions dans le passé sur son entrée au paradis). 
  
     
B la conception 
  modérée 
  Deux solutions : 
  a)la réinterprétation de la charî'a et du droit musulman 
  
  Les partisans de cette solution expliquent que le Coran peut et doit être 
  interprété si on veut être fidèle à son esprit. 
  D'ailleurs le droit musulman qu'on peut en tirer a toujours su évoluer 
  selon différentes méthodes. Ainsi au moins deux méthodes 
  sont utilisables aujourd'hui : 
  - le Talfik : on interprète le droit musulman en essayant de remonter 
  à son origine pour en comprendre les défauts actuels et pour l'adapter. 
  C'est la méthode adoptée par le législateur tunisien. 
  
  - L'herméneutique : on recherche par de là la lettre l'esprit 
  du Coran. Et l'on cherche à placer chaque question dans le dessein divin 
  global. C'est que l'esprit est éternel, la lettre circonstancielle. Le 
  droit musulman peut alors évoluer, être abrogé. (idem pour 
  le judaïsme, le catholicisme). 
  Si on n'utilise pas de telles méthodes, alors on est condamné 
  à une application littérale par exemple de la loi du talion ou 
  d'un statut pour la femme discriminant. C'est le recours aux châtiments 
  corporels comme la flagellation publique, l'amputation de la main, du pied, 
  de l'œil... Concernant la femme, le refus de lui donner des droits politiques. 
  Procéder ainsi revient à nier : 
  - d'une part la tradition musulmane à laquelle on prétend se référer. 
  Par exemple, selon certains auteurs le châtiment de la main coupée 
  n'a été appliqué que 6 fois durant les 6 premiers siècles 
  de l'Hégire. En Iran, l'établissement de la loi du talion serait 
  en contradiction avec l'histoire de ce pays 
  - d'autre part, des siècles de science juridique classique musulmane 
  (le fiqh) qui a permis d'adapter, de systématiser et finalement au 20ème 
  siècle de moderniser le droit islamique.  Exemple d'interprétation 
  moderne : la polygamie. Si le Coran autorise les hommes à prendre 4 épouses, 
  il impose une parfaite égalité de traitement entre elles, ce qui 
  est impossible dans les sociétés actuelles. On peut donc conclure 
  à l'interdiction de la polygamie. 
  2) la séparation totale entre droit et religion 
  Seule cette solution selon certains juristes musulmans permettrait de faire 
  accéder le monde musulman à une conception réellement universelle 
  et égalitaire des droits de l'homme comme en Occident. Cette solution 
  a eu un début d'application dans les années 50 (cf. la Déclaration 
  universelle des droits de l'homme adoptée par l'ONU a été 
  approuvée en 1948 par tous les pays musulmans, avec la seule abstention 
  de l'Arabie Saoudite) mais depuis elle est en déclin. Certains Etats 
  musulmans modérés ont ainsi adopté (l'Algérie) ou 
  maintenu (le Maroc) des codes civils ou de statut personnel inspirés 
  par une Charî'a interprétée strictement. Ainsi au Maroc, 
  si la polygamie se fait très rare (200 demandes en 1999), la répudiation 
  augmente (environ 10 % par an selon certaines sources). 
Nota : pour aller plus loin sur les rapports entre droit et théocratie, lire mon ouvrage :