COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL GÉNÉRAL
Cours
écrit par O. CAMY
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Chapitre 3 : le droit constitutionnel théocratique
Le droit constitutionnel théocratique dont la source se veut exclusivement religieuse est lui aussi fondé sur des principes qui s'opposent à ceux du droit constitutionnel classique occidental (XVIIIe siècle). Nous prendrons pour exemple celui qui est issu de l'Islam parce qu'il est le plus vivace, connaît une application dans certains Etats. Ainsi, on a assité à la tentative de fondation d'États dits islamistes dans de nombreux pays (cf. l'Afghanistan des Talibans, l'Iran, le Pakistan, le Soudan). Cependant, il existe des mouvements intégristes issus d'autres religions (le catholicisme en Irlande, le judaïsme en Israël avec les partis religieux) qui revendiquent aussi la création d'un État théocratique.
Concernant l'Islam,
il faut préciser que, schématiquement deux conceptions du droit
constitutionnel répandues dans les pays musulmans s'affrontent aujourd'hui
:
- l'une " modérée " appliquée dans la majorité des
pays musulmans notamment au Maghreb (Maroc, Tunisie...) et au Machrek (Égypte).
Selon les partisans de cette conception, il existerait une compatibilité
entre l'Islam et le droit constitutionnel occidental classique. Il est tout
à fait possible d'importer des institutions et techniques juridiques
occidentales à condition de séparer Religion et Politique.
Cela sans heurter la Religion musulmane. En effet, le Coran ne parlerait pas
d'Etat, d'Etat islamique, etc. ; il serait une affaire de cœur, de conscience
avant tout. La séparation Religion-Politique n'excluerait pas cependant
que le législateur s'inspire de la religion musulmane et donc que le
Coran devienne une source de droit parmi d'autres.
- l'autre " radicale " appliquée avec des nuances importantes dans une
minorité de pays musulmans comme l'Iran, le Soudan, le Pakistan et revendiquée
par une partie de l'opposition religieuse en Algérie, Égypte,
Turquie (Cf. le parti de la prospérité de Neematin Erbakan dissout
par la Cour Constitutionnelle turque en 1998), etc. Selon les partisans de cette
conception, le droit constitutionnel occidental est en partie incompatible avec
l'Islam qui fournirait un modèle de gouvernement original, des normes
juridiques propres pouvant conduire à la création d'États
théocratiques dits " islamistes ". Cette conception se réfère
à un islamisme fondamentaliste ou intégriste né dans les
années 30, propagé par des organisations comme les " Frères
musulmans " en Égypte (cf. Hassan al-Banna) et " les Dévoués
de l'Islam " en Iran ; deux mouvements qui ont été sévèrement
réprimés, l'un par Nasser en 1954 et l'autre par le Chah d'Iran
en 1956. Ce qui est sans doute une des causes de la radicalisation (et notamment
du recours à la violence) de certains courants islamistes.
À partir de l'exemple de l'Iran, des États du Golfe, nous allons
étudier les principes suivants déduits de la seconde conception
:
1 État théocratique
2 Représentation non démocratique
3 Confusion des pouvoirs au profit d'un guide religieux
4 Rejet de la notion occidentale de libertés publiques.
Il est évident que ces principes sont appliqués avec plus ou moins
de rigueur selon les Etats (Cf. Le statut de la femme n'est pas le même
en Iran et en Arabie Saoudite). À chaque fois, nous essaierons de fournir
les contre arguments des partisans de la conception modérée.
Section 1 État
théocratique
§1 Définition
C'est un État dans lequel existe un gouvernement de Dieu ou de son Eglise.
Toutes les personnes, même publiques ou étatiques sont soumises
à une seule religion comme religion d'État. Cette religion légitime
le pouvoir politique (voire le choix de son titulaire) et est considérée
comme la source unique de tout le droit.
§2 l'application
dans les Etats islamistes
Les États islamiques avec plus ou moins de rigueur se veulent des Etats
théocratiques. Ce qui se traduit par l'existence d'une souveraineté
de droit divin et d'un droit dont la source exclusive serait religieuse.
A) la souveraineté est de droit divin
Tout le pouvoir vient de Dieu. En théorie, il n'y a pas d'autre autorité
qu'Allah qui ne saurait la déléguer.
B) le droit aussi vient de Dieu
a) Il doit trouver sa source :
- dans le Coran ou révélation divine faite au prophète
Mahomet (le Coran constitué de versets regroupés en chapitres
ou sourates révélés au prophète à Médine
et à La Mecque)
- à défaut dans la Sunna, ou "coutume ancestrale" - c'est-à-dire
les récits des faits et gestes du Prophète recueillis par ses
Compagnons et interprétés par les ulémas (docteurs considérés
comme "les héritiers du prophète" produisant une interprétation
juste du Coran). On appelle hadîth, les récits relatifs au comportement
de Mahomet (ou parfois de ses compagnons) transmis par les témoins directs
et indirects. Ils sont extrêmement nombreux, s'élevant à
plusieurs centaines de mille et plus ou moins fiables. Ensemble le Coran et
la Sunna constituent l'essence de la Charî'ah ou Loi révélée.
b) C'est une source exclusive
Insistons sur ce point : le droit (Mu'âmalât) selon les islamistes
serait littéralement ou intégralement contenu dans le livre de
Dieu (c'est pourquoi on parle d'intégrisme). On doit y trouver directement
toutes les normes nécessaires de droit civil, pénal, constitutionnel
; normes qui suffisent à organiser la vie d'un Etat islamiste et celle
des individus.
Exemple : le cas de l'Arabie Saoudite.
- la charî'a est appliquée directement sans l'intermédiaire
d'une codification, d'une mise en forme ou adaptation par la loi ordinaire ou
la Constitution.
- la Constitution saoudienne n'a pas le statut d'une Constitution à l'occidentale
: elle n'a pas d'autonomie par rapport au droit divin. D'ailleurs son article
1 prévoit que le Coran et la Sunna sont la " Constitution [substantielle]
" de l'Arabie Saoudite.
De la même façon, les Talibans demandent la stricte application
de la charî'a dans le traitement notamment des affaires de l'Etat même
sur un plan international. Selon eux, la charî'a semble pouvoir tout résoudre.
§3 : le
refus des Etats musulmans modérés
Les États musulmans modérés refusent l'idée de théocratie.
D'où une triple absence :
A Absence de souveraineté de droit divin
La souveraineté dans ces Etats est démocratique : elle appartient
à la Nation (Maroc article 1er) ou au peuple.
B Absence de Religion d'Etat
Il est vrai que l'Islam est souvent reconnu comme religion d'État (Algérie,
art.2, Maroc, art.6, Tunisie, art.1.), Mais cette disposition signifie seulement
que l'Islam peut inspirer (et cela parfois de manière symbolique) le
droit dans certaines de ses branches. Pour justification, les partisans de la
conception modérée font remarquer que la notion de Religion d'Etat
ou de théocratie est absente de la charî'a ou de la tradition musulmane.
Dès lors, rien n'oblige l'État à l'appliquer un droit exclusivement
islamique.
C Absence d'un droit exclusivement islamique
Aucun de ces pays n'applique un droit strictement islamique. D'abord, parce
que des domaines entiers sont gérés par le droit occidental (notamment
la sphère publique), ensuite parce que le droit islamique, lorsqu'il
est appliqué a été interprété, adapté
(Cf. le législateur tunisien) ou modifié (cf. le législateur
turc qui a interdit la polygamie). Les partisans de la conception modérée
justifient cette position par les arguments suivants :
a) l'impossibilité d'utiliser directement la chari'a
Si on veut appliquer à la lettre la loi religieuse, on est obligé
de faire comme si son sens était évident ou ne devait pas faire
l'objet de raisonnements, de constructions doctrinales. On oublie ou on refoule
le moment de l'interprétation. Tout cela parce qu'on a affaire à
un texte d'origine divine. Cette fiction a plusieurs conséquences
:
- En voulant appliquer littéralement la charî'a, on aboutit en
fait à privilégier sans le dire certaines interprétations
doctrinales, parfois anciennes ou dépassées qui ne tiennent pas
compte de l'esprit du Coran ou de l'évolution des sociétés
musulmanes.
- En voulant appliquer à la lettre la charî'a sans dire quelle
position on a choisie, non seulement on privilégie une interprétation,
mais on renforce aussi le rôle des prédicateurs et des militants.
Ces derniers considérés comme des spécialistes de l'application
de la loi, deviennent des guides, des autorités auto-habilitées
à faire avancer la société vers le gouvernement de Dieu
qui est en fait leur gouvernement. Par exemple, en Iran en 1979, les experts
du droit musulman prétendront rédiger seuls une Constitution iranienne
qui leur donnera des pouvoirs exorbitants.
b) les lacunes
de la charî'a
La loi divine ne pourrait fournir des normes juridiques que dans le domaine
du droit privé ; elle serait presque muette dans le domaine du droit
public. Ainsi, le Coran et les Hadith ne fixent des règles précises
que pour ce qui concerne le mariage, le divorce, la protection de l'enfance
etc., soit le statut personnel. Il faut ajouter quelques règles fondamentales
comme l'interdiction de l'usure (ribä) ou l'obligation de l'aumône
légale (zakät). Voilà pourquoi un droit public (notamment
constitutionnel) spécifiquement ou intégralement musulman serait
une utopie.
Si on veut absolument tirer des normes de droit public de la charî'a,
on est amené à faire des extrapolations et l'on travestit
le sens des mots du Coran. (Cf. l'exemple des principes d'exégèse
du Coran des Mojâhedines du peuple en Iran (organisation révolutionnaire
islamiste), la " communauté des croyants " devient une " société
dynamique en mouvement dialectique vers la perfection ", le monothéisme
devient " égalitarisme ", la jehäd une guerre de libération,
le combattant sacré (mojâhed) un guérillero) .
Nota : la loi religieuse
devient idéologie au sens où l'on essaye de tirer d'elle des normes
morales mais aussi politiques et juridiques, valables dans les domaines de la
vie privée et publique, capables de tout régir. Les recueils contemporains
de fatwâ (consultations juridiques) illustrent cela à la perfection.
On y traite à la demande des fidèles les questions suivantes :
est-il licite de vendre des appareils de radio et de télévision,
quid du Coca-Cola et du Pepsi-Cola ? etc. Le sermon devient un média
idéologique : le prédicateur ne prononce pas seulement des discours
édifiants, mais donne aussi des ordres, prend des décisions, émet
un avis sur des affaires politiques et en général sur des affaires
intéressant la communauté.
On aboutit à une politisation très forte de la religion.
Section 2 : représentation non démocratique
§1 le rejet
de la représentation démocratique occidentale par les Etats islamistes
A) La justification
Un État ou République islamique rejette le principe de représentation
démocratique parce que ce principe présuppose que la loi est le
produit de la volonté des représentants du peuple ou de la Nation.
Or, la loi ou les règlements ne peuvent être selon la conception
radicale que l'explicitation du droit coranique. C'est Dieu qui est législateur
et non les hommes. Le pouvoir législatif proprement dit a été
exercé une fois pour toutes par le prophète, ou plutôt par
Dieu parlant par la bouche de son Envoyé. Cela n'a donc pas de sens d'élire
ou de désigner des députés pour légiférer
au sein d'un Parlement.
B) Les exceptions
Il faut noter qu'en pratique les États islamiques ont été
amenés à faire certains compromis. Il en est ainsi du Koweït
qui a permis la désignation d'une Chambre législative élue
par un corps électoral très étroit (15 % des personnes
vivant au Koweït ; les femmes n'ayant pas le droit de vote). Les dernières
élections législatives ont eu lieu en octobre 1996. Il en est
aussi de l'Iran qui a mis en place une Chambre des députés qui
peut théoriquement légiférer librement au nom de la Nation
iranienne. Mais les députés doivent prêter un serment religieux
(principe 67) et les lois votées doivent être conformes aux " commandements
de l'Islam " ; ce qui est vérifié par un Conseil de surveillance
(principe 91) composé de docteurs du dogmes religieux et de juristes
islamistes. D'autre part, l'Iran admet le principe du référendum
; un référendum du 30 mars 1979 a d'ailleurs permis l'instauration
de la République Islamique (98 % de votants ayant dit oui) et élit
tous les 4 ans un Président de la République aux pouvoirs réduits.
§2 la critique
des modérés
Les partisans de la conception modérée estiment qu'une représentation
démocratique est possible sans trahir le Coran. Ce qui explique l'existence
de parlements élus capable de légiférer librement dans
les Etats musulmans (cf. la Chambre des Représentants au Maroc, titre
III de la Constitution de 1992). Cela a une double conséquence
:
A le droit positif peut être totalement de source laïque
C'est le cas en Turquie ou en Albanie. Le Coran n'est invoqué que pour
ce qui concerne la sphère de la vie privée et ses prescriptions
n'ont alors qu'une valeur morale.
B le droit positif peut être en partie inspiré du Coran
Pour le droit positif inspiré de la Charî'a, la solution souvent
adoptée consiste à distinguer entre les principes de base immuables
du Coran et les dispositions qui peuvent être appliquées différemment
selon les pays et les époques. Cela suppose que soient autorisées
l'interprétation, l'adaptation du droit musulman traditionnel ; que soit
promu l'Ijtihad (effort intellectuel d'interprétation). C'est le cas
par exemple en Tunisie.
La proportion de droit inspiré de l'islam va varier selon les pays et
fait l'objet de débats. Par exemple au Maroc où l'on discute sur
le maintien ou non du Code personnel inspiré par le droit musulman traditionnel
qui autorise la répudiation et la polygamie (en fort déclin).
En Egypte, le nouvel article 2 de la Constitution adopté en 1980 renforce
le poids du droit musulman. Il prévoit que les principes de la loi islamique
constituent "la source principale" (et non plus une source) de la législation.
Section 3 :
confusion des pouvoirs au profit d'un guide religieux
L'État islamique là encore veut appliquer de façon stricte
le Coran, source révélée ou encore la Sunna, source inspirée
pour construire un régime politique. Mais ces textes ne font référence
qu'à un simple schéma théorique ou idéal de société
musulmane. Une transposition dans la pratique suppose des adaptations importantes
ou le retour comme le proposent certains courants intégristes (Les Talibans)
à un système de confusion des pouvoirs (cf. le Califat) qui s'était
répandu dans les pays musulmans jusqu'à sa suppression en 1928
par la Turquie.
Les partisans de la conception modérée expliquent qu'on ne saurait
sans trahir le Coran lui-même ériger un idéal de société
musulmane en un régime politique effectif ou encore moins restaurer un
Califat qui n'est pas prévu par la loi divine.
A l'Etat islamiste
comme régime de confusion des pouvoirs
La confusion des pouvoirs dans les Etats islamistes est généralement
justifiée par la référence à une forme idéale
de société musulmane qu'on trouve dans la loi révélée.
Sa mise en pratique a conduit à des transpositions autocratiques.
a) La référence
à une forme idéale de société musulmane
On peut déduire de la charî'a une forme de communauté. On
peut même aller jusqu'à définir trois pouvoirs dont les
titulaires seraient les suivants :
- le pouvoir ou magistère législatif appartient au Coran seul.
- le pouvoir judiciaire appartient à tout croyant qui, par la lecture
assidue et fervente du Coran acquiert avec la mémoire des définitions
et l'intelligence des sanctions qu'il édicte le droit de les appliquer
- le pouvoir exécutif à la fois civil et canonique n'appartient
qu'à Dieu seul.
b) La mise en pratique
1) dans l'histoire :
Ce schéma idéal a été mis en pratique lors des débuts
de l'ère islamique (l'Hégire). Il a justifié l'organisation
d'un type de régime politique appelé Califat : dans ce régime,
il y a primauté du Calife [ou Imam selon les chiites pour qui le chef
doit être issu de la famille du prophète] en tant que représentant
de Dieu, chef unique, exerçant le pouvoir exécutif. Cet intermédiaire
va bénéficier d'une autorité absolue. Car obéir
au Calife et à ceux qu'il désigne, c'est obéir au prophète
dont il est le remplaçant, et obéir au prophète, c'est
obéir à Dieu. Cependant, on pourra lui désobéir
toutes les fois qu'il commande une chose qui va contre la Loi coranique.
Le Califat laissera la place au fil des siècles à des " sultanats
", c'est-à-dire le plus souvent à des monarchies héréditaires.
C'est le Sultan fastueux de Bagdad, de Cordoue ou Istanbul, l'Imam fatimide
du Caire etc... Bref le résultat a presque toujours été
une autocratie pas toujours éclairée un peu comme en Europe lorsque
la religion catholique a servi à justifier la monarchie absolue. Notons
que ces autocraties devaient souvent faire face à des émeutes,
séditions qui se fomentaient très rapidement car persistait une
liberté extrême d'appréciation des actes gouvernementaux
en fonction de la loi divine.
2) aujourd'hui :
Dans les États islamiques contemporains, on constate qu'au nom de ce
schéma idéal, sont créés des régimes où
un Guide spirituel prend en charge directement le pouvoir gouvernemental (comme
dans les États du Golfe) ou le surveille étroitement (comme en
Iran où le Guide, au début l'imam Khomeyni, contrôle l'exercice
des pouvoirs exécutif, mais aussi législatif et judiciaire).
Exemple : en Arabie Saoudite, l'essentiel du pouvoir exécutif appartient
à un monarque héréditaire qui gouverne seul au nom du "
Saint Coran et de la Tradition du vénérable prophète ",
en tant que " serviteur des deux lieux saints de l'islam " Médine et
La Mecque. Il n'y a pas de Parlement mais seulement depuis 1993 un conseil consultatif
de 60 membres nommés par le Roi. En Iran, il est prévu que les
pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire soient " placés
sous le contrôle de l'autorité de l'Imamat " (57e principe).
Cet Imamat est à la charge d'un docteur du dogme ou à sa place
un Conseil de direction ayant les fonctions de guide (107e principe) ; ce docteur
est censé avoir " compétence scientifique pour se prononcer sur
les problèmes de religion " et " perspicacité politique (...)
capacité de gestion " (109e principe). Il nomme la plus haute autorité
judiciaire, il détient le commandement suprême des forces armées,
le pouvoir de révoquer le Président de la République. Il
faut ajouter qu'a été institué aussi un Conseil de surveillance
qui contrôle la conformité de toutes les lois votées par
la Chambre des députés avec les commandements de l'islam (principe
96).
(Nota : les Talibans en Afghanistan prônent le retour au Califat du début de l'ère islamique).
B le refus de la
confusion des pouvoirs par les Etats musulmans modérés.
Les Etats musulmans modérés estiment que s'il existe dans la chari'a
une communauté politique, c'est un idéal, presque une utopie qui
ne peut déboucher sur l'instauration de pratiques politiques concrètes.
C'est peut être seulement une communauté spirituelle. En tout cas,
cette communauté a peu à voir avec le califat, autocratie de fait,
imposée par les armes qui ne peut être justifié par les
principes fondateurs de l'Islam ou la pratique du Prophète.
L'auteur le plus souvent évoqué par les modérés
est le théologien égyptien Ali Abderraziq (1888-1966) dont l'ouvrage
L'islam et les fondements du pouvoir (1925) a provoqué de nombreuses
polémiques à l'époque. Selon lui, le califat a été
un pouvoir de fait, une violence faite à la communauté musulmane
sauf au tout début du Califat. En réalité, la religion
musulmane ne justifie ni le Califat, ni un quelconque Etat islamiste qui n'a
jamais existé pas même aux premiers temps de l'Umma. Le prophète
est un guide spirituel et non un roi de ce monde. Aucun principe religieux n'interdit
donc aux musulmans d'édifier un Etat sur la base de principes politiques
modernes, comme la séparation des pouvoirs.
Section 4 le rejet de la notion occidentale de libertés fondamentales.
C'est le point le plus délicat. Ici les deux conceptions se contredisent, se heurtent le plus nettement. La conception radicale tend à démontrer que le régime des libertés en terre d'Islam doit être fondé sur une lecture stricte, littérale de la Charî'a qui conduit à refuser la vision occidentale des droits de l'homme comme des absolus. La conception modérée refuse cette lecture et affirme soit qu'on peut réinterpréter de façon libérale le droit musulman traditionnel, soit qu'est légitime une séparation définitive entre religion et droit qui permettrait une véritable émancipation des individus, notamment des femmes.
A la conception
radicale
Si comme certains courants fondamentalistes, on réduit la loi divine
et le droit musulman qui en été tiré à sa lettre,
aux rituels visibles, alors les droits fondamentaux ne sont pas des absolus
comme en Occident ; ils dépendent de la révélation et seront
protégés par l'Etat islamiste en fonction de l'implication de
chacun vis-à-vis de l'Islam. Voilà pourquoi, lorsque des droits
fondamentaux (individuels ou sociaux) sont proclamés dans les États
islamistes (comme l'Iran), ils sont toujours encadrés, finalisés
(c'est le cas des libertés d'opinion, d'association, de réunion,
de travailler) et donc niés selon la conception classique et occidentale
du droit constitutionnel. La Déclaration islamique des droits de l'Homme
rendue publique en 1981 fait de même.
L'égalité entre les individus est conditionnée. Elle dépend
:
- du fait que ces individus s'efforcent ou non de parvenir à l'adhésion
à la vérité révélée et à l'observation
de la loi. Cela aboutit concrètement à donner des droits différents
aux individus en fonction de leur degré d'engagement dans la défense
de l'islam. On distinguera entre gens du livre et athées ou polythéistes.
Les premiers, juifs ou chrétiens, voir les Mages (mazdéens) sont
admis à vivre dans une société musulmane ; ils bénéficient
du statut de dhimmi-s (protégés) qui leur assure liberté
de croyance et de culte, capacité commerciale mais ils sont tenus de
verser un impôt, sont frappés de certaines incapacités vis-à-vis
des musulmans (interdiction d'épouser une musulmane, d'hériter
d'un musulman, dépréciation de leur témoignage en justice....).
Les seconds n'ont le choix en théorie qu'entre la conversion ou la mort,
leurs femmes et enfants étant réduits en esclavage. De même
pour les renégats de l'islam.
- du fait que ces individus ont vocation ou non à accomplir les
droits de Dieu. Cela aboutit à différencier nettement le statut
de l'homme et de la femme. L'homme musulman honorable, sain d'esprit etc. a
vocation à être désigné comme Imam (celui qui dirige
la prière collective), son témoignage est reçu en justice
avec une force entière. Le paradis est organisé en sa faveur.
La femme n'a pas ce statut et donc des droits limités dans leur exercice.
(Cf. Les discussions dans le passé sur son entrée au paradis).
B la conception
modérée
Deux solutions :
a)la réinterprétation de la charî'a et du droit musulman
Les partisans de cette solution expliquent que le Coran peut et doit être
interprété si on veut être fidèle à son esprit.
D'ailleurs le droit musulman qu'on peut en tirer a toujours su évoluer
selon différentes méthodes. Ainsi au moins deux méthodes
sont utilisables aujourd'hui :
- le Talfik : on interprète le droit musulman en essayant de remonter
à son origine pour en comprendre les défauts actuels et pour l'adapter.
C'est la méthode adoptée par le législateur tunisien.
- L'herméneutique : on recherche par de là la lettre l'esprit
du Coran. Et l'on cherche à placer chaque question dans le dessein divin
global. C'est que l'esprit est éternel, la lettre circonstancielle. Le
droit musulman peut alors évoluer, être abrogé. (idem pour
le judaïsme, le catholicisme).
Si on n'utilise pas de telles méthodes, alors on est condamné
à une application littérale par exemple de la loi du talion ou
d'un statut pour la femme discriminant. C'est le recours aux châtiments
corporels comme la flagellation publique, l'amputation de la main, du pied,
de l'œil... Concernant la femme, le refus de lui donner des droits politiques.
Procéder ainsi revient à nier :
- d'une part la tradition musulmane à laquelle on prétend se référer.
Par exemple, selon certains auteurs le châtiment de la main coupée
n'a été appliqué que 6 fois durant les 6 premiers siècles
de l'Hégire. En Iran, l'établissement de la loi du talion serait
en contradiction avec l'histoire de ce pays
- d'autre part, des siècles de science juridique classique musulmane
(le fiqh) qui a permis d'adapter, de systématiser et finalement au 20ème
siècle de moderniser le droit islamique. Exemple d'interprétation
moderne : la polygamie. Si le Coran autorise les hommes à prendre 4 épouses,
il impose une parfaite égalité de traitement entre elles, ce qui
est impossible dans les sociétés actuelles. On peut donc conclure
à l'interdiction de la polygamie.
2) la séparation totale entre droit et religion
Seule cette solution selon certains juristes musulmans permettrait de faire
accéder le monde musulman à une conception réellement universelle
et égalitaire des droits de l'homme comme en Occident. Cette solution
a eu un début d'application dans les années 50 (cf. la Déclaration
universelle des droits de l'homme adoptée par l'ONU a été
approuvée en 1948 par tous les pays musulmans, avec la seule abstention
de l'Arabie Saoudite) mais depuis elle est en déclin. Certains Etats
musulmans modérés ont ainsi adopté (l'Algérie) ou
maintenu (le Maroc) des codes civils ou de statut personnel inspirés
par une Charî'a interprétée strictement. Ainsi au Maroc,
si la polygamie se fait très rare (200 demandes en 1999), la répudiation
augmente (environ 10 % par an selon certaines sources).
Nota : pour aller plus loin sur les rapports entre droit et théocratie, lire mon ouvrage :