Vichy ou le triomphe de la technocratie
Vichy n’a pas été un bloc. On y trouve des
traditionalistes pour qui la défaite de 1940 est une divine surprise.
Ils tiennent leur revanche sur 1789 et la République. On y trouve
quelques hommes de gauche, socialistes et radicaux dissidents,
syndicalistes qui sont unis par leur anti-communisme, un refus des
partis et des combinaisons stériles du Front populaire ; ils ont la
tentation de confier le socialisme à une élite autoritaire. En réalité,
les idées socialistes et conservatrices ne vont pas l’emporter ; c’est
la bureaucratie inhumaine, les ministres technocrates qui vont gagner.
La révolution nationale a un discours officiel : elle prétend restaurer
des idéaux de solidarité, revenir aux structures traditionnelles
(doctrine corporatiste), décentraliser. Elle va faire le contraire.
Elle va épurer, persécuter (au sein même de son administration),
détruire les corps intermédiaires (apparition d’un syndicalisme
officiel, obligatoire mais privé du droit de grève), centraliser,
étatiser, céder à un dirigisme policier.
1) le corporatisme
Sur le modèle de l’Italie fasciste, on se propose d’organiser toute la
population active – patrons, techniciens, ouvriers - en groupes
économiques (par branche d’industrie ou par profession) qui se
régiraient eux-mêmes et dirigeraient la société. L’Etat
autoritaire et le marché libéral feraient place à des « groupements
naturels » autonomes. Les associations reposant sur la notion
artificielle de classe et soulignant les conflits d’intérêts
disparaîtraient au profit d’unités économiques naturelles. Possibilité
d’une troisième voie entre dictature et communisme. On échappe à la
lutte des classes et à la concurrence. Tous ces groupes naturels se
constitueraient en un organe législatif, le Conseil National corporatif
se substituant au Parlement.
Mais en réalité, on va instaurer un dirigisme économique au profit des patrons.
Ainsi, au moment où on crée les corporations, Pétain s’engage le 12
octobre à interdire les grèves et les lock-out ; toutes les
associations de travailleurs et d’employeurs sont dissoutes le 9
novembre. Des syndicats locaux sont autorisés, sauf pour les
fonctionnaires mais les centrales nationales CGT, CFDT sont supprimées.
Le 16 août, chaque branche de l’industrie et du commerce a été
autorisée à créer un comité d’organisation ; comité habilité à évaluer
la capacité de production de toutes les entreprises et à en
fermer, à répartir les ressources limitées, à proposer des barèmes de
prix au gouvernement … Ses membres sont nommés par le ministre de la
Production industrielle. A partir de février 1941, ce sont les
représentants patronaux de l’industrie lourde qui tiennent les
commandes.. Le gouvernement exerce une influence majeure par
l’entremise du délégué général, et du fait que les Offices de
répartition des matières premières ont le dernier mot. Il n’y a pas de
syndicats pour faire contrepoids aux comités.
Mais les représentants du patronat ne font pas ce que bon leur semble.
Il existe une lutte d’influence entre le patronat et l'administration.
Les traditionalistes voulaient un régime autoritaire mais non étatiste
(une économie dirigée par les hommes d’affaires) ; les hauts
fonctionnaires préfèrent le contrôle impartial d’administrateurs
compétents, c’est-à-dire eux-mêmes. Les ministres à la Production
industrielle choisissent au nom de l’efficacité l’étatisme. Les
dirigeants des petites entreprises dénoncèrent la synarchie (soit la
monopolisation des fonctions économiques de l’Etat par une technocratie
représentant de fait les + grandes organisationnels économiques).
Enfin, l’idée de planification l’emporte en 1943.
2) La décentralisation
Les traditionalistes souhaitaient une décentralisation qui passait par
la renaissance des provinces. Vichy ne sera régionaliste qu’en parole
et va étouffer la démocratie locale qui s’exprimait par les conseils
municipaux et généraux.
- les provinces : Pétain annonce le 11 juillet 40 que
les provinces vont être reconstituées « Des gouverneurs seront placés à
la tête des grandes provinces françaises. Ainsi, l'administration sera
à la fois concentrée et décentralisée ». Très vite le projet qui devait
tenir compte des réalités historiques devient technocratique. Le
premier projet de découpage régional confié à R. Allibert (26
provinces historiques) est vite considéré comme inefficace. Il est
rejeté par les administrations (Intérieur, Finances, Production
industrielle). Ainsi, elles ne correspondaient pas aux nécessités
d’améliorer les circuits de ravitaillement qui exigeaient des régions
élargies et qui entraînèrent la création de préfets régionaux en avril
1941. (En plus, créer des provinces comme la Lorraine, la Franche-Comté
aboutissait à offrir une opportunité à Hitler qui s’apprêtait à en
revendiquer l’annexion au nom de l’histoire et des droits de la race)
L. Romier successeur de Allibert préfère 20 grandes Régions
économiques. Avec quelles institutions ? le gouverneur en est la
pièce essentielle, représentant direct du chef de l’Etat : il définit
la stratégie de la région et nomme les membres (une centaine dont 2
femmes au maximum) du Conseil régional choisis parmi les groupes
économique set sociaux, les élites… Le Conseil national décida très
vite de lui interdire d’élire un président, de décider de son ordre du
jour et de voter les taxes régionales.
- Les communes et départements : Vichy eut l’idée de
créer des nouveaux fonctionnaires pour aider et surveiller les
municipalités : les conseillers cantonaux. Les préfets et le Conseil
national en recommandaient la création en raisonne la complexité
nouvelle des tâches du maire notamment. Echec : il n’eut qu’un nombre
infime de candidats (appointements médiocres, qualifications requises
élevées). C’est donc la méfiance et la surveillance qui l’emportent.
Concernant les conseils généraux, ils possédaient un pouvoir ancien et
redoutable , donné par la loi Tréveneuc du 15 février 1872 (en cas
d’empêchement des Chambres, ils pouvaient former une assemblée
nationale en déléguant deux délégués par département). La loi du 18
août 1940 interdit les réunions spontanées des conseils généraux et
celles du 12 octobre 1940 transfère leurs pouvoirs aux préfets. Ils
sont remplacés par des commissions administratives (7à 9 membres dont 3
issus des CG) consultées sur les budgets départementaux. Une réforme de
Laval en 1942 rétablit des conseils départementaux nommés avec un
pouvoir délibératif réglementé (ordre du jour décidé par le préfet).
Quant aux communes, elles sont contrôlées. Par exemple, les communes
urbaines ont un maire nommé ; les communes rurales (moins de 2000
habitants), le mandat des élus est prolongé jusqu’à la fin de la
guerre. Le ministère de l’Intérieur détient le pouvoir local.
3) la primauté de l'administration sur la politique
Le dirigisme économique, la centralisation renforcée mais aussi la
carence du pouvoir constitutionnel exigent un alourdissement croissant
de l’appareil administratif. Vichy dont les principaux inspirateurs
avaient si hautement vilipendé les fonctionnaires « budgétivores » aura
été au moins en termes quantitatifs l’âge d’or des fonctionnaires (P.
Milza). + 50% entre 1936 et 1947, de 600000 à 1 million en 3 ans ! Cela
sans aucun contrepoids. Dès lors que les assemblées et les
administrateurs élus ont disparu et que les hommes politiques sont
tenus en suspicion, l'administration a pris en main les leviers de
commande. R. Paxton : « Les fonctionnaires passent directement aux
commandes, remplaçant les politiciens qu’ils se contentaient naguère
d’aiguiller en coulisse » (p. 238).
- la fonction publique est élargie. La IIIe
République avait créé un septembre 1939 un ministère de l’Information,
Vichy pour sa part créa un ministère de la Production industrielle. Le
Front populaire avait créé en 1936 un ministère de l’Economie
nationale. C’est qu’il y a davantage à faire = bloquer les prix,
répartir les ressources, contrôler la production et le marché [321
comités d’organisation s’en chargeront].
- Les structures administratives sont renforcées.
- Budget :
- le 18 novembre 1940 un organe technique est chargé
d’établir le budget ; tâche confiée auparavant aux toutes puissances
commissions de la Chambre des députés et du Sénat.
- Le travail de la Cour des Comptes est rationalisé
par la loi du 16 mai 1941 qui lui donne en vertu d’un principe général
(et non plus pour des cas d’espèce) le mandat d contrôler tous les
deniers publics, y compris les fonds des organismes subventionnés.
- Législation :
le CE retrouve la fonction législative qu’il avait sous les régimes napoléoniens
4) la persécution
L’administration a été persécutée (pour ce qui concerne ses « éléments
antinationaux ») et a persécuté. Sur quel fondement ? Le 13 août 1940,
Pétain déclare « La France nouvelle réclame des serviteurs animés d’un
esprit nouveau, elle les aura ». Le but est de redonner aux cadres
administratifs un « esprit vraiment français ». On exclura donc les
agents dont les « quartiers de francité » étaient insuffisants pour en
faire des membres de la communauté nationale » ; qu’ils fussent juifs,
ou nés de pères non français ou francs-maçons. Il faut ajouter la
possibilité offerte au gouvernement de relever de ses fonctions, sans
formalité tout agent dont il doutait qu’il pût participer loyalement.
Le fonctionnaire, selon la conception dominante, devient un rouage de
l’Etat idéologique et autoritaire. Son être est plus important que son
travail ; il convient donc de juger de sa personne, de ses choix
politiques, de sa vie privée, du nombre de ses enfants.
Qui traitera de ces questions, les règlera ? L’administration elle-même
: les directions du personnel devaient traiter ensemble ces exclusions
dont la mise en œuvre fut coordonnée par M. Lagrange au sein de la
vice-présidence du Conseil.
Cela veut dire que les structures traditionnelles de l'administration
feront le travail même si elles seront en partie adaptées aux taches
nouvelles.
1. les objectifs et leur mise en œuvre.
- une fonction publique nationale :
il s'agit de mesures visant à limiter la place des français issus
de la première ou de la deuxième génération de l’immigration. Quels
motifs ? « Le loyalisme à l’œuvre de la rénovation nationale ne peut
sincèrement être le fait que des membres de la communauté nationale »
(G. Burdeau). Le nouveau pouvoir a jugé que « les naturalisés ne
possédaient pas l’aptitude politique à exercer une fonction publique, à
cause de leur origine étrangère » (M. Duverger).
Le champ politique-administratif est le premier touché :
- loi du 12 juillet 1940 : « ne peuvent appartenir à
un cabinet ministériel que les personnes nées de parents français »
- loi du 17 juillet 1940 sur les fonctionnaires nés
de père non français : elle réserve les emplois publics aux « Français
nés de père non français ».
La Troisième République avait déjà restreint par une loi du 19 juillet
1934 l’entrée des naturalisés dans la fonction publique ; cela en leur
interdisant l’accès aux emplois publics de l’Etat pendant une durée de
10 ans à compter de la date de naturalisation. On leur imposait ainsi
un stage d’accoutumance aux valeurs et à la culture française. [il y
avait aussi la nécessité de protéger la main-d’œuvre nationale]. Mais,
on ne désespérait pas des étrangers de devenir français, et donc de
pouvoir participer à l’exercice de la souveraineté nationale. Avec
Vichy, cela est sans remède. Une sorte d’hérédité implique que les
étrangers ne peuvent acquérir la « francité ». Aucun stage, aucune
forme d’éducation, encore moins les concours de recrutement qui ne
mesurent que des capacités abstraites et non le sens national ne
peuvent garantir de devenir français. La conception pétainiste
insistait sur le rôle de la famille ; dès lors, un père non français ne
peut inculquer des valeurs françaises.
Conséquence : tous les fonctionnaires nés de père non français (même le
personnel des collectivités locales durent quitter leur emploi, du
professeur d’université à la fille de salle. Seule exception : ceux qui
se sont battus pour la France et leurs famille directe. S’y ajoutait la
possibilité pour le gouvernement de prononcer après avis du CE des
dérogations individuelles. Une loi du 3 avril 1941 s’attacha à définir
les droits à pension des agents exclus et élargit le champ des
dérogations aux « naturalisés pour services exceptionnels ». Le
soupçon sur les français de fraîche date s’accentua encore avec
la loi du 22 juillet 1940 qui posait le principe d’une révision de
toutes las naturalisations.
(nota : projet du ministère de la Justice à la fin de 1941 d’autoriser
l’accès aux emplois publics des Français de père étranger mais de mère
française car « dans la transmission des caractères héréditaires
l’influence de la mère se fait sentir aussi bien que celle du père et
qu’il n’est pas possible de méconnaître le rôle prépondérant de la mère
dans l’éducation et la formation des enfants » (lettre du ministre des
Finances au garde des Sceaux du 3 janvier 1942).
Enfin, l’article 5 de la loi du 17 juillet 1940 exigeait de tous les
agents des collectivités publiques une déclaration sur l’honneur « soit
de n’avoir jamais appartenu à une des organisations définies à
l’article premier (soit une société secrète : on pensait à la franc
maçonnerie), soit d’avoir rompu toute attache avec elle et de ne jamais
adhérer à une telle organisation au cas où elle viendrait à de
reconstituer ». Sous réserve d’une telle déclaration, les
fonctionnaires franc-maçons restaient en place. Le régime ne
considérait pas les puissances « occultes » suffisamment dangereuses
pour que leurs membres fussent irrécupérables. De toute façon, depuis
juillet 40, le régime pouvoir relever de ses fonctions tout
fonctionnaire y compris les francs-maçons.
- une fonction publique loyale :
Le régime s’était doté ainsi d’un « outil commode » qui lui permettait
de s’assurer de la loyauté de son administration. Une loi toujours du
17 juillet 1940 autorisait le gouvernement à relever de ses fonctions «
nonosbtant toute disposition législative et réglementaire contraire,
par décret pris sur le seul rapport du ministre compétent et sans
autres formalités » tous les agents publics. Entre août 1940 et octobre
1940, de nouveaux textes en élargirent l’usage au personnel des
départements, des communes, de l’Algérie et des colonies. L’épuration
des entreprises liées à l’Etat fut aussi prise en compte avec
l’application du texte à la SNCF puis à toute entreprise ayant une
concession de service public ou recevant des subventions publiques.
Les agents auxquels était appliquée la loi percevaient leur traitement
pendant 3 mois. A l’issu des 3 mois, devait intervenir si on ne
décidait pas une radiation définitive un arrêté ministériel les
reclassant dans un emploi comportant nécessairement une rémunération
inférieure à celle précédemment perçue. Dans le cas contraire,
ils bénéficiaient de la jouissance immédiate d’une pension de retraite,
à taux plein ou partiel selon la durée de leurs services. On
estimait ainsi avoir traité avec équité « les éléments qui, en raison
soit de leur origine, soit de leur activité antérieure, se monteraient
incapables de collaborer sincèrement à l’œuvre de redressement national
».
Quelle pratique ?
L’objectif de départ est ambitieux. C’est un objectif politique ; il
faut épurer l’administration de tous les ennemis politiques d’hier. Par
exemple, E. Mireaux ministre de l’Education nationale entre juillet et
septembre 1940 demande une enquête sur le loyalisme des maîtres à tous
ses recteurs. Ils sont soupçonnés d’être les vecteurs d’un esprit
ancien (résidu du Front populaire) et de freiner la Révolution
nationale. Il faut ajouter une volonté de revanche contre les syndicats
de fonctionnaires de la part des hauts responsables administratifs. Des
faits anciens qu’une intervention syndicale avait pu conduire à ne pas
punir aussi sévèrement que l’administration l’aurait souhaité sont
ainsi passés en revue. Enfin, la loi devint un moyen de gestion
administrative des personnels. Sous des prétextes politiques, on releva
de leurs fonctions des cadres administratifs jugés peu opérationnels,
au rendement limité pour des raisons de santé notamment.
Peyrouton, ministre de l’Intérieur insistait sur le fait que « la
réforme de l’administration française était subordonnée à l’élimination
préalable des cadres administratifs des fonctionnaires que leurs
faiblesses physiques, intellectuelles ou morales rendaient inaptes à
collaborer à la création de l’ordre nouveau ». Même sévérité réclamée à
l’Education nationale par Ripert : « J’ai l’intention de prononcer le
relèvement des fonctions d’un certain nombre de fonctionnaires et
d’agents. Cette mesure doit atteindre deux catégories :
- ceux qui, en raison de leur état de santé, de leur
affaiblissement intellectuel ou de leur absence totale d’énergie sont
dans l’impossibilité de remplir leurs fonctions ;
- ceux qui, dans ces dernières années, ont consacré
une partie de leur temps à une agitation politique contraire aux
intérêts de la France et persévèrent dans leur action…
- (etc.)
Malgré ces appels à la sévérité, la machine à épurer ne produisit pas
les effets escomptés. Malgré une prorogation de la date de validité de
la loi jusqu’au 31 mars 1941, le secrétariat général de la
vice-présidence du Conseil trace un bilan morose (notamment dans
l’enseignement et vis-à-vis des anciens syndicalistes). On constatait
une grande disparité entre ministères ; la palme revenant au ministère
de l’Intérieur : 3329 relèvements de fonctions. On relève que seulement
194 instituteurs s’étaient vus appliquer la loi. Une seule application
pour le Ministère des Affaires étrangères. Pire les ministères qui
avaient sous-utilisés la loi ne demandaient pas sa prorogation. Le
ministère de l’Education nationale demandait cependant l’intervention
d’un texte « permettant de relever de ses fonctions après en quête tout
fonctionnaire ayant commis une faute professionnelle ou ayant eu une
attitude antinationale ».
En réalité, le relèvement des fonctions fut prorogé jusqu’à la fin des
hostilités ; il finit par constituer l’un des éléments les plus
permanents de la politique de la fonction publique sous Vichy.
- une fonction publique racialement pure
L’épuration anti-juive dont l’administration fut à la fois l’acteur et
le théâtre n’a pas été ressentie à l’époque comme centrale, révélatrice
du nouvel ordre juridique. Peu importante en volume, présenté comme un
élément parmi d’autres d’une politique de redressement de l’Etat, elle
n’a pas eu la visibilité qu’on lui donne aujourd’hui. La population,
préoccupée par d’autres sujets, n’a commencé à réagir aux mesures
antisémites que vers 1942 avec l’extension des rafles concernant aussi
bien étrangers que français, adultes et enfants. Grâce à
l’historiographie récente, nous savons mieux voir, sinon comprendre le
sens de ce projet d’épuration permis par le statut des juifs
d’octobre 1940 et de juin 1941.
Les caractéristiques des mesures :
- des mesures françaises :
Nous savons ainsi qu’il s’agit d’une mesure française ou encore
autochtone. Le projet d’un statut des juifs voulu dès les premiers mois
de Vichy par des équipes influencées par l’Action française et
sensibles au thème de l’infection de la France par le « virus juif »
chemina parallèlement à la préparation des premières ordonnances contre
les juifs prises par les Allemands en zone occupée. Parallèlement mais
indépendamment, bien qu’on ait voulu présenter cette législation comme
imposée par l’occupant.
Les ordonnances prises en zone occupée (la 1ère ordonnance prise le 27
septembre 1940) s'inspiraient de la législation prise en Allemagne à
partir de 1933 (la loi allemande sur la restauration de la fonction
publique du 7 avril 1933, la législation allemande de Nuremberg du 15
septembre 1935). Les mesures de Vichy bien que prises de façon autonome
s'inspirent de cette législation allemande et de celle d'autres pays
ayant un régime fasciste (Cf la Hongrie). Il est à noter que les
dispositions françaises présentées comme « mesurées » sont plus
rigoureuses que celles de l'Italie fasciste de 1938, régissant
notamment Nice occupée par les italiens.
- des mesures dirigées contre les agents publics dits de « race juive ».
L'épuration raciale de l'administration est une priorité ; le statut
des juifs intervient dès octobre 1940 et concerne surtout la fonction
publique (en principe les fonctions d'encadrement). Le secteur privé ne
connaîtra pas un tel principe général d'éviction des Juifs. L'aspect
racial est motivé par des raisons idéologiques (notamment xénophobes :
se protéger contre un esprit étranger dont l'esprit juif est une
composante) ou racistes (préjugés sur les liens entre puissance
d'argent et judaïsme, le caractère « inassimilable » des juifs et leur
« manque d'attachement à la communauté française » G. Burdeau, « la
supériorité de la race aryenne » R. Bonnard). Il reste que la plupart
des commentateurs juristes se contentent d'évoquer l'intérêt général,
la hiérarchie, l'exécution de la loi soit des motifs juridiques
classiques comme si ces motifs juridiques pouvaient recouvrir et
justifier une politique raciale qui en réalité révèle de « graves
exceptions « dont « souffre » le droit public (André Hauriou,
Précis élémentaire de droit administratif, 1943 Cf le principe
d'égalité civile de 1789). Notons enfin que le motif racial est souvent
assimilé ou mélangé comme les autres motifs (loyalisme, préférence
nationale) à des motifs de bonne gestion ou d'efficacité
administrative.
Le précédent allemand :
Même priorité à la fonction publique et mélange d'aspects raciaux et gestionnaires.
La loi sur la restauration de la fonction publique (Gesetz zur
Wiederherstellung des Berufsbeamtentums, GWB) fut promulguée le 7 avril
1933 et permit aux dirigeants nazis de destituer les fonctionnaires
juifs ou considérés comme politiquement hostiles. Élaborée sous la
direction du ministre de l'Intérieur Wilhelm Frick, elle fut, (avec la
loi sur la réglementation de l'accès au barreau, promulguée le même
jour), à la fois la première disposition législative à portée
antisémite et la première étape de la « mise au pas » (Gleichschaltung)
de la société allemande. Elle fut abrogée par la loi n° 1 du Conseil de
contrôle allié portant abrogation du droit nazi du 20 septembre 1945.
La loi est publiée dans l'édition du Reichsgesetzblatt du 7 avril 1933.
Composée de dix-huit paragraphes, elle ne comporte pas le terme « Juif
», qui n'apparaît que dans le premier décret d'application du 11 avril
1933 N 4. Cette absence n'enlève rien à la portée antisémite du texte
qui constitue « une remise en cause massive de l'égalité des droits des
juifs en Allemagne depuis 1871 ».
Le préambule de la loi (« le gouvernement a décidé la présente loi »)
et la liste des signataires, dans laquelle ne figure pas Paul von
Hindenburg, démontrent que ce texte a été promulgué sur la base de la
loi des pleins pouvoirs qui permet au gouvernement de légiférer sans
aucune procédure parlementaire et sans l'aval du président de la
république.
Le 1er paragraphe de la loi en précise l'objectif :
« [...] dans le souci de restructurer la fonction publique sur des
bases nationales et de simplifier son administration, les
fonctionnaires peuvent être révoqués en vertu des dispositions
suivantes, quand bien même les conditions nécessaires à leur révocation
définies par le droit en vigueur ne seraient pas remplies11. »
Trois catégories sont explicitement visées par la possibilité d'une révocation :
1 les fonctionnaires entrés en service après le 9
novembre 1918 et qui ne possèdent pas le diplôme ou les compétences
requises ou usuelles (§ 2, 1°),
2 les fonctionnaires qui ne sont pas d'ascendance
aryenneN 5, y compris les fonctionnaires honoraires (§ 3, 1°),
3 les fonctionnaires dont les activités politiques
passées n'offrent pas « la garantie qu'ils agiront toujours et sans
réserve dans l'intérêt de l'État national » (§4)10.
Outre ces trois catégories, la loi dispose en son paragraphe 6, que
tout fonctionnaire peut être mis à la retraite pour simplifier
l'administration8.
Conformément aux souhaits de Hindenburg, le paragraphe 3 souvent
dénommé le « paragraphe aryen », comporte en son 2° des possibilités
d'exemption. « Le §1 ne s'applique pas aux fonctionnaires en fonction
au 1er août 1914, à ceux qui ont combattu sur le front au cours de la
Première Guerre mondiale, pour l'Allemagne ou ses alliés, ou dont le
père ou un fils ont péri au cours de la guerre mondiale ». Le ministre
de l'Intérieur du Reich peut en outre accorder d'autres exemptions, en
concertation avec les ministres concernés ou les plus hautes autorités
des États.
L'imitation française :
Le statut des juifs pris dès octobre 1940 concerne d'abord
l’administration elle-même. En effet, l’article 2 du statut interdit
l’accès et l’exercice de fonctions publiques aux personnes considérées
comme juives. L’interdiction est totale pour les plus hautes fonctions,
les grands corps de l’État, les secteurs régaliens de l’État notamment.
Sont donc exclus ou ne peuvent exercer tous les agents ayant une
fonction de direction dans l'administration (ou les entreprises
publiques) ; sont exclus tous les agents quel que soit leur rang
hiérarchique appartenant à certains corps (mines, ponts et chaussées..)
et ministères (affaires étrangères, intérieur). Pour les autres
secteurs, une exemption est prévue pour les anciens combattants de la
guerre 14-18 ou cités à l'ordre du jour en 39-40.
Le statut des juifs s'applique pour la métropole. Une loi du 7 octobre
1940 prévoit seulement que les juifs en général subissent la perte de
la citoyenneté politique et ont le même statut que les « indigènes
musulmans ». Le statut du 2 juin 1941 est applicable à la métropole,
l'Algérie, Protectorats, colonies, etc.
- une mesure nécessairement arbitraire (# discrétionnaire). Le
critère d'appartenance à la race juive est tautologique donc conduisant
à justifier sur de simples présomptions, indices, exclusions,
arrestations et déportations futures. Le statut de 1941 tentera d'y
remédier en invoquant la notion de religion.
Idem Allemagne.
Le terme « non-aryen » employé dans le texte de la loi est de caractère
fort général et génère de nombreuses confusions qui contraignent le
gouvernement, quatre jours après la promulgation de la loi, de prendre
un premier décret d'application.
Le décret du 11 avril 1933, signé par les ministres de l'Intérieur
Wilhelm Frick et des Finances Lutz Schwerin von Krosigk apporte une
série de précisions au texte de la loi sur la restauration de la
fonction publique. En son article 1er, il précise que sont considérés
comme inaptes et doivent être démis de leur fonction tous les
fonctionnaires affiliés au parti communiste ou à l'une de ses
organisations auxiliaires.
L'article 2 du décret définit ce que recouvre le terme de « non-aryen » employé dans l'article 3 de la loi :
« § 1 Est considérée comme non-aryenne toute personne qui descend de
non-aryens, en particulier de parents ou grands-parents juifs. Cette
disposition s'applique même si un seul parent ou un des grands-parents
est de descendance non aryenne. Ce principe vaut particulièrement si un
parent ou un des grands-parents était de confession juive.
§ 2 Tout fonctionnaire qui n'était pas nommé au 1er août 1914 doit
prouver qu'il est d'ascendance aryenne, qu'il a combattu sur le front
ou que son père ou son fils a été tué au cours de la Première Guerre
mondiale. Cette preuve doit être donnée en fournissant des documents
(certificat de naissance, certificat de mariage des parents, papiers
militaires).
§ 3 Si l'ascendance aryenne fait doute, un avis doit être obtenu de la
commission d'expertise raciale du ministère de l'Intérieur. »
Même si nombre de commentateurs présentent ce décret comme une loi
raciale, le seul critère retenu pour définir les « non-aryens » est la
religion d'un des ascendants de l'individu concerné ; un seul des
grands-parents de confession juive suffit à catégoriser une personne
comme « non-aryenne », ce qui permet d'écarter des fonctions
officielles tout individu susceptible de transmettre l'« influence
juive ». Cette définition maximaliste pose des problèmes que les nazis
tentent de résoudre en 1935 avec la définition des Mischling dans le
cadre des lois de Nuremberg.