Qui serait le "véritable patron" dans une VIe République ?


LE MONDE | 08.09.05 |

Les pouvoirs du président de la République réduits à ceux d'un simple arbitre ? Au moment où l'accident de santé de Jacques Chirac soulève des questions sur la fonction du chef de l'Etat, La Constitution de la 6e République imaginée par le socialiste Arnaud Montebourg et l'universitaire Bastien François, professeur de science politique à l'université Paris-I, redistribue les rôles.
Jack Lang (PS) pour un régime présidentiel
Candidat à l'investiture du PS pour l'élection présidentielle de 2007, Jack Lang juge qu'il suffirait d'"abroger une douzaine d'articles dans la Constitution actuelle" pour obtenir une réforme "en profondeur" des institutions et changer de République. Auteur d'un premier livre, Un nouveau régime politique pour la France (éd. Odile Jacob, 2004), l'ancien ministre de François Mitterrand récidive avec un nouvel ouvrage, Changer (Plon, 180 p., 14 €). "En un an , dit-il, ma réflexion a mûri."
Partisan d'un régime présidentiel, M. Lang, qui se réfère également à Pierre Mendès France, plaide toujours pour un renforcement des pouvoirs du chef de l'Etat, "un président qui gouverne , décrit-il sur son blog, et qui ne s'abrite pas derrière un premier ministre fusible, subterfuge ou simulacre". Mais, dans son esprit, le président de la République, dont le mandat serait limité à quatre ans, devrait être aussi pleinement "responsable" devant une Assemblée nationale elle-même renforcée. L'auteur prévoit déjà une suite à ses réflexions pour janvier 2006.
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Le "véritable patron" , tranchent-ils dans ce livre qui paraîtra le 15 septembre chez Odile Jacob (191 pages, 19 euros), doit être le premier ministre, lui-même tenant sa légitimité de l'Assemblée nationale "comme dans la quasi-totalité des régimes parlementaires européens" . Tout en souhaitant un "prompt rétablissement à Jacques Chirac" , Arnaud Montebourg tire de l'actualité ce commentaire : "Le système de la Ve République fait reposer sur un homme seul tous les pouvoirs. Qu'il ait une faille personnelle et cela retombe sur tout le système."
Changer les institutions, à vingt mois de la prochaine élection présidentielle de 2007, est devenu l'obsession d'une part grandissante des socialistes. Au point que le sujet fait désormais jeu égal, dans leurs priorités, avec les réformes économiques et sociales. Il figurera donc en bonne place dans les débats pour le congrès du PS, au Mans, en novembre.
Le livre d'Arnaud Montebourg et Bastien François ouvre d'ailleurs la voie à une nouvelle collection chez Odile Jacob, entièrement consacrée aux changements institutionnels. Elle sera pilotée par Thomas Clay, également professeur en droit privé à l'université de Versailles, et complice d'Arnaud Montebourg, fondateur de la Convention pour la 6e République (C6R).
Comme beaucoup, ce dernier, champion de la critique sur la "dérive monarchique" de la Ve République et de "l'irresponsabilité" du président, fait le constat d'une "défiance généralisée" des Français vis-à-vis du politique. Il cite trois éléments caractéristiques, à ses yeux, de cette défiance : la dissolution ratée de 1997, le 21 avril 2002 et le référendum du 29 mai sur la Constitution européenne.
Tous les socialistes ne sont pourtant pas unis sur cette question, loin s'en faut. A l'opposé d'Arnaud Montebourg, Jack Lang et Dominique Strauss-Kahn prônent plutôt le passage à un régime présidentiel à l'américaine où tous les pouvoirs sont partagés entre un président et un Congrès. Un tel régime, ripostent les auteurs de La Constitution de la 6e République , en citant... Edouard Balladur et François Bayrou, est l'"apanage des libéraux" . Il "favorise une forme de cohabitation (...) une coexistence sans moyens d'action réciproques entre un exécutif d'une tendance et un législatif de l'autre". La "présidentialisation" aboutirait donc à "la paralysie" , comme celle qui a rendu Bill Clinton "incapable de mettre en oeuvre son programme électoral de réforme de la sécurité sociale" . A la place, Arnaud Montebourg promet une VIe République "totalement opérationnelle, absolument raisonnable". Une "république résolument moderne à la façon dont Pierre Mendès France l'avait rêvée" , affirme-t-il. Le député socialiste maintient l'élection au suffrage universel du président de la République ? qu'il avait envisagé, à l'origine, de supprimer ?, mais il dépouille le chef de l'Etat de quasiment toutes ses prérogatives. Finis les "domaines réservés".
Le président devient "le symbole unificateur de la nation" , un "emploi pour l'une de ces figures éminentes dont la France a le secret, femme ou homme en fin de carrière (...) un Jacques Delors, un Lionel Jospin vraiment retraité, une Simone Veil ou même un Edouard Balladur".
UN RÉGIME "À L'ANGLAISE"
Dans l'esprit d'Arnaud Montebourg et de Bastien François, le premier ministre disposerait, lui, de tous les pouvoirs : celui de représenter la France sur la scène internationale comme celui d'être le chef des armées ou de dissoudre l'Assemblée. Ce régime primo-ministériel "à l'anglaise" s'accompagnerait d'un renforcement des pouvoirs des parlementaires, capables, par exemple, de "s'opposer aux nominations des plus hauts fonctionnaires décidées en conseil des ministres" . Pour garantir la stabilité, les auteurs ont puisé leur inspiration du côté des lois allemandes : les députés qui souhaiteraient censurer le gouvernement seraient obligés de désigner un nouveau premier ministre potentiel. "Ce mécanisme , assurent-ils, empêche les alliances de circonstance."
L'avantage de la réflexion autour des institutions, c'est qu'elle permet d'ouvrir le chapitre de la "rénovation" politique sans que cela coûte rien sur le plan budgétaire. Son inconvénient : il n'est pas sûr que les Français y mettent autant de passion. Arnaud Montebourg et Bastien François balaient cet argument. "Contrairement à une idée reçue , écrivent-ils, la question de la démocratie et de ses institutions intéresse les Français. La manière dont ils se sont emparés du traité constitutionnel européen, la façon dont ils ont imposé dans tout le pays un débat vif et sans complaisance sur les conditions institutionnelles de leur avenir en Europe (...) en sont les plus belles preuves."
Isabelle Mandraud
Article paru dans l'édition du 09.09.05