Présidentielle 2007
Article du Monde publié le 25 mai 2007
Claire Bommelaer et Charles Jaigu.
Nicolas Sarkozy renforce le dispositif élyséen
Conseillers en grand nombre, nouvelles instances de décisions... Un «super-Élysée»
doit encadrer le travail gouvernemental.
LA SCÈNE a surpris tout le monde. Lors dune réunion interministérielle
à Matignon sur le régime fiscal des heures supplémentaires,
la semaine dernière, les conseillers techniques de Bercy, des ministères
du Travail, des Comptes publics et de Matignon ont vu arriver le directeur de
cabinet de Nicolas Sarkozy, Emmanuelle Mignon. Cette dernière a doctement
expliqué comment la mesure phare de Nicolas Sarkozy devait être
mise en uvre. «Tout un symbole», sinquiète un
participant. Dautant plus que, par tradition, le directeur de cabinet
de lÉlysée, contrairement au secrétaire général,
na pas un rôle éminemment politique. «Avant, le conseiller
du président laissait tout le monde pédaler dans la semoule, et
on attendait fébrilement larbitrage?de lÉlysée»,
se justifie-t-on au cabinet de Sarkozy.
LÉlysée à Matignon? Pour les habitués de la
machine gouvernementale, cest effectivement tout un symbole. Sous Jacques
Chirac, les conseillers de lÉlysée avaient pour habitude
dintervenir dans des «réunions de haut niveau», rassemblant
un ou plusieurs ministres. Il arrivait également que les conseillers
ou le secrétaire général reçoivent les ministres,
et que le président de la République fasse des «Conseils
restreints» à lÉlysée. Ce fut le cas notamment
pendant la crise des banlieues. Cétait aussi lusage, à
échéances régulières, sur les questions européennes
et internationales.
Mais les nouveaux hôtes du «Château» se vantent de sortir
cette «belle endormie» de sa torpeur : «cétait
une maison dans laquelle le travail sarrêtait à midi et recommençait
à 16 heures», cingle un conseiller élyséen. Entre
la fin de règne Chirac et la nouvelle ère Sarkozy, les cadences
se veulent plus fortes. Les «galériens» sont aussi beaucoup
plus nombreux, et nettement plus vigilants.
«Pas de flicage»
Sous la tutelle du secrétaire général adjoint, François
Perol, on compte pas moins de huit conseillers techniques au sein du pôle
économique, dont plusieurs inspecteurs des finances. Chargé du
pôle social, Raymond Soubie a formé une équipe de cinq experts.
Chirac, lui, avait quatre personnes pour soccuper du tout. De là
à imaginer que ces équipes sont censées serrer de près
Jean-Louis Borloo, Xavier Bertrand ou Éric Woerth, il ny a quun
pas que franchit un haut gradé de lÉlysée?: «Cest
dici que la réforme est pilotée?», résume-t-il.
Ils sont six au tout nouveau Conseil national de sécurité, dirigé
par Jean-David Levitte. Lex-ambassadeur de France à Washington
supervisera en même temps les sujets Défense et Affaires étrangères,
portefeuilles dHervé Morin et de Bernard Kouchner. Quant au Conseil
de sécurité intérieure, qui existe depuis 2002 et était
animé par Philippe Massoni, cest désormais Claude Guéant
lui-même le secrétaire général de lÉlysée
qui en est le patron, ce qui pourrait limiter lautonomie du ministre
de lIntérieur, Michèle Alliot-Marie.
«Cest une autre lecture des institutions», remarque un ancien
ministre, qui reste sceptique. «Cest la fin dune hypocrisie»,
juge plutôt François Fillon, qui a défini sa place comme
«celle dun animateur de la majorité et du projet politique
du gouvernement». «Nous ne sommes plus dans une recherche permanente
déquilibre et de ménagement des susceptibilités»,
ajoute un conseiller de François Fillon.
«On ne nous laisse pas la bride sur le cou, mais il ny a pas de
flicage», affirme un ministre, qui pour le moment sentretient «autant»,
avec les services de lÉlysée que de Matignon.
En réalité, le «match» entre Matignon et lÉlysée
na pas encore vraiment commencé. Mais, au quotidien, ce nouveau
partage des pouvoirs posera la question du rôle du secrétaire général
du gouvernement, le SGG, qui a la main sur le travail législatif préparatoire
pour toutes les lois et sur lorganisation administrative du gouvernement.
Au SGG, une armada de juristes et de conseillers dÉtat travaille
en amont des projets de lois, étudiant leur faisabilité et leurs
limites éventuelles. Cest Matignon, en principe, qui maîtrise
lordre du jour de ces projets de loi, convoque les réunions interministérielles,
puis les réunions darbitrage. Une fois les décisions prises,
cest aussi Matignon, et son SGG, qui produit le fameux «bleu»,
un document résumant la décision finale. «On a rarement
vu de ministres passer outre ces bleus», explique un habitué du
sérail gouvernemental. «Il va y avoir un an de rodage», admet
un conseiller de Nicolas Sarkozy, «?ensuite, on verra si lÉlysée
simpose comme la maison qui gouverne, et il faudra en tirer les conséquences»
.