La controverse de l’article 68
Aspects théologiques

Par Olivier CAMY*

[Article paru à la RDP en 2001 - n°3]

 

Depuis plus de deux ans, les meilleurs juristes tentent de déterminer quelle est la condition juridique du Président de la République au plan pénal. Doit-il ou non rendre compte des actes extérieurs ou antérieurs à sa fonction devant le juge ordinaire ? À chaque juriste ou presque son interprétation de l'article 68 de la Constitution relatif à la responsabilité présidentielle. La belle unanimité ou presque qui existait encore jusqu'en 1998 parmi les constitutionnalistes a cessé. La thèse commune selon laquelle le président ne bénéficierait d'aucun privilège de juridiction a été rejetée par certains auteurs. Pour eux, le président ne serait pas redevable du droit commun pendant la durée de son mandat ; ce privilège disparaissant le jour où le Président redevient un simple citoyen.
La décision du Conseil constitutionnel du 22 janvier 1999 a semble-t-il entériné cette dernière position sur laquelle s'est appuyé le chef de l'Etat lors de sa conférence de presse du 14 décembre 2000. Dès lors, il apparaît qu'au plan pénal, le président ne peut être mis en cause durant son mandat que par les seules Assemblées comme dans le cas de la haute trahison. Le débat est s'est poursuivi à travers les commentaires des considérants non motivés du Conseil. Les pénalistes l'ont même relancé à la marge en estimant pour certains que le président pourrait être convoqué par un juge en qualité de « simple témoin ». Finalement, le refus du Président d’être entendu par le juge Halphen au motif que cette convocation serait un acte « contraire au principe de séparation des pouvoirs comme aux exigences de la continuité de l’Etat » a montré à l’évidence que l’article 68 reste une source de désaccords et d’ambiguïté.
Il ne s'agit pas ici de prolonger ce débat mais plutôt d'en examiner les termes du point de vue de la méthodologie du droit. En se plaçant de ce point de vue, il apparaît qu'un tel débat est révélateur des apories que rencontre la doctrine contemporaine. Incapable de retrouver les fondements du droit, peu assurée de ses méthodes d'interprétation, minée par le soupçon que le droit n'est que le travestissement du politique, la doctrine s'est divisée à l'extrême et n'a pu jouer le rôle qu'elle s'est donné : déterminer la signification exacte de l'article 68 afin d'éclairer les opérateurs du droit, et parmi eux le citoyen. La déconstruction des modes d'argumentation employés par la majorité des juristes montrera que cette controverse comporte des aspects théologiques dont l'oubli participe sans doute de la crise de la pensée juridique contemporaine.