Constitution : les nouveaux droits des justiciables
Par Constance Jamet
01/03/2010
Depuis le 1er mars, un citoyen ordinaire dispose comme les
députés ou le président de la République
d'un droit de regard sur la Constitution. Suite à la
réforme constitutionnelle de 2008, un Français peut
saisir les Sages s'il estime qu'une loi menace ses droits et sa
liberté. Cette saisine appelée question prioritaire de
constitutionnalité (QPC) est toutefois entourée d'une
série de garde-fous pour empêcher tout ralentissement
abusif des procédures et encombrement de la justice.
Explications.
• Qui a le droit de saisir les Sages ? Tout justiciable, cible
d'un procès, peut saisir dans «un écrit distinct et
motivé» le juge d'une QPC contre une loi qui peut le viser
lors du litige. La QPC peut être initiée à tous les
niveaux d'instances -première instance, appel ou cassation -
à l'exception des affaires relevant de la Cour d'assises.
• Comment ça marche ? Le juge de la juridiction
concernée évalue la légitimité d'une QPC
à l'aune de trois critères. La disposition
législative mise en cause doit être applicable au litige
en question et doit porter atteinte aux droits fondamentaux du
justiciable. Pour être contestable, la loi ne doit pas avoir
été déjà déclarée conforme
à la Constitution par le Conseil constitutionnel. Enfin, la
question ne doit pas être fantaisiste mais relever d'une base
«sérieuse». Détail important : aucun
délai n'a été imposé à la
juridiction de première instance pour statuer.
Si le juge déclare une QPC recevable, il la transmet à
l'instance suprême dont elle relève (Conseil d'Etat ou
Cour de cassation) et surseoit à statuer, sauf dans les cas de
privation de liberté. Ces institutions ont alors trois mois pour
procéder à un examen approfondi de la question et
décider de saisir ou non le Conseil constitutionnel. Un refus de
saisine n'est susceptible d'aucun recours. S'ils sont saisis, les Sages
ont encore trois mois pour abroger ou non, la disposition
contestée. La procédure est contradictoire et les
débats sont publics. Si une loi est jugée
inconstitutionnelle, celle-ci est alors abrogée et les
procès initiés sur cette base sont annulés.
• Qu'est-ce que ça change ? Auparavant, seuls le
président de la République, le premier ministre, les
présidents de l'Assemblée nationale ou du Sénat,
ou un groupe de soixante députés ou sénateurs,
pouvaient saisir les Sages. Surtout le contrôle de
constitutionalité se faisait «à priori». Le
Conseil constitutionnel ne pouvait apprécier la
conformité d'une loi à la Constitution qu'entre son
adoption par le Parlement et sa promulgation. Une fois la loi parue au
JO, sa conformité à la Constitution ne pouvait plus
être contestée et les juridictions étaient tenues
de l'appliquer. Certaines lois controversées ont ainsi
échappé à l'examen des Sages lorsque les
autorités politiques sont convenues de ne pas le solliciter.
Avec la réforme constitutionnelle, le contrôle
«à postériori» devient possible. Le Conseil
pourra déclarer contraire à la Constitution des lois en
vigueur depuis des décennies, voire un siècle. Pour de
nombreux constitutionnalistes, cette innovation est en passe de
transformer le Conseil constitutionnel en Cour suprême.
Certaines lois relatives aux libertés individuelles semblent
déjà dans le collimateur des avocats des futurs
justiciables, comme loi Gayssot sur la liberté d'expression ou
une future disposition d'interdiction de la burqa. Les jeunes avocats
secrétaires de la Conférence du barreau de Paris se sont
par exemple attaqués dès lundi 1er mars à la
constitutionalité de la garde à vue.