CORSE
source : documentation française
Les statuts de 1982 et 1991
Le statut de 1982
La loi du 2 mars 1982 porte création de
l’"Assemblée de Corse", dénomination locale du
conseil régional mais "simple concession linguistique". Si,
à la suite des propositions de campagne du président Mitterrand,
la Corse occupe une place à part dans les régions, c’est
simplement en ce que les réformes liées aux lois de
décentralisation y sont immédiatement appliquées (la
première assemblée régionale de France est élue en
Corse le 8 août 1982, et en 1986 pour les autres régions).
Le Conseil constitutionnel admet qu’il
n’est pas contraire à la Constitution de créer un type de
collectivité territoriale qui soit un modèle unique (décision
n°82-138 DC). C’est ainsi que l’Assemblée est élue
au suffrage universel proportionnel intégral, dans une circonscription
unique (alors que la "bidépartementalisation" de la Corse a
été votée le 15 mai 1975).
Le dispositif retenu donne à la
région de Corse une nature politique plus qu’administrative avec,
déjà, la possibilité pour l’Assemblée de
proposer au Premier ministre des modifications du règlement et de la
loi, dans les domaines des affaires culturelles et du développement
local, où elle exerce des responsabilités propres. Le
président du conseil exécutif de l’Assemblée
émet des "remarques" et "suggestions" sur
l’organisation des services publics de l’État en Corse.
Ainsi le schéma régional
d’aménagement s’inspire-t-il du modèle de
l’Île-de-France, avec négociation entre
l’Assemblée et l’État; et, de même,
l’Assemblée exploite le réseau ferroviaire, passe des
conventions avec l’État pour l’avion et les liaisons
maritimes avec le continent. Trois établissements publics mixtes sont
chargés de l’agriculture, de l’irrigation, et des
transports.
Avec 61 élus, il suffit de recueillir 2
231 voix pour un siège, en 1982. Sur la demande du président de
son conseil exécutif, cette assemblée ingouvernable (parce
qu’élue à la proportionnelle, pour permettre
l’intégration de tous les courants nationalistes) est dissoute en
1984 en Conseil des ministres. La Corse réintègre finalement le
10 juillet 1985 le droit commun électoral, atténuant par
là le particularisme du statut.
Le Conseil constitutionnel spécifie
dès 1985 que l’exercice des libertés publiques (enseignement,
réunion etc.) ne peut pas dépendre des décisions des
collectivités territoriales (décisions 84-185 DC du 18 janvier
1985, 93-329 DC du 13
janvier 1994, 96-373 DC du 9 avril 1996). Ces précisions données,
la question de la reconnaissance institutionnelle du particularisme corse va
rebondir.
Dans une délibération du 13
octobre 1988, l’Assemblée de Corse affirme l’existence
d’un "peuple corse", "communauté historique et
culturelle vivante" et demande un "projet cohérent de
développement économique, social et culturel". Requête
au gouvernement qu’une loi-programme soit élaborée, dans
les six mois, en vue d’un nouveau statut. L’absence
d’accompagnement financier, le désengagement de l’État
dans certains domaines, les difficultés de réalisation du schéma
d’aménagement rendent nécessaire une réforme
clarifiant les responsabilités respectives des acteurs. Le 23 mai 1990,
Pierre Joxe, ministre de l’Intérieur, présente les
orientations du futur projet aux élus de l’AC.
Le "statut Joxe", de 1991
Le "statut Joxe" (cf. Regards sur
l’actualité n° 173) s’inspire de
celui de la Polynésie, et l’organisation nouvelle, la
Collectivité Territoriale de Corse (CTC), conserve un caractère
"administratif". Il s’agit d’implanter des institutions
qui permettent une responsabilisation effective des élus locaux.
° La classe politique insulaire
s’oppose bruyamment à l’emploi des termes conseil de
gouvernement ou ministres, en gage de fidélité à la
République. Le nombre de sièges tombe à 51, la
proportionnelle est maintenue mais avec une prime de trois sièges
à la liste gagnante, pour qu’une majorité significative
mène une assemblée stable (il y a eu quatre élections
depuis 1982).
° C’est sur le mode collégial que " le
conseil exécutif de Corse dirige l’action " de la CTC. Son
fonctionnement est pré-parlementaire : avec le vote de
" défiance constructive ", l’AC peut renverser
l’exécutif de sept membres issu de ses rangs, à condition
d’en proposer un nouveau, qui recueille la majorité. L’exécutif
est de jure président des offices (agriculture et équipement
hydraulique).
° Dans une optique inverse du texte
antérieur, obligation est faite au Premier ministre de consulter
l’AC "sur les projets de loi ou de décret comportant
des dispositions spécifiques à la Corse." Celle-ci se voit
reconnaître un pouvoir de proposition, mais sans pouvoir exiger de
réponse au fond.
° De nouvelles compétences dans les
domaines de l’éducation, de l’audiovisuel, de l’action
culturelle et de l’environnement sont précisées par le
statut. L’AC présente un schéma d’aménagement,
qui donne lieu, après concertation avec l’État, à un
contrat de plan pour être exécutoire.
° Dans le domaine des transports, le
transfert des compétences à la CTC est financé au moyen
d’une dotation de continuité territoriale, qui résulte
d’un changement de ligne budgétaire. Des compétences
précises sont définies pour la formation professionnelle,
l’énergie…
° La décision du Conseil
constitutionnel du 9 mai 1991, si elle récuse la notion de
" peuple corse ", comme étant contraire au principe
d’indivisibilité de la République, a confirmé la
légitimité d’une organisation spécifique. Autorisant
le législateur à créer des catégories de
collectivités territoriales non prévues par la loi –
à titre d’exemple les communes, départements et Territoires
d’Outre Mer sont mentionnés, – le Conseil indique que
l’article 72 laisse de larges possibilités de diversification.
C’est ainsi, selon les décisions 82-138 DC du 25 février 1982 et 91-290 DC du 9 mai
1991,
qu’a été édicté le statut de 1991.
Celui-ci crée l’exemplaire unique
d’une collectivité territoriale, à mi-chemin entre
régions métropolitaines et régions
d’outre-mer : exemplaire unique, et non "région"
particulière, pour laquelle le statut général serait
spécifiquement aménagé. Les départements
étant considérés comme partie intégrante du paysage
juridique, les institutions de la CTC se juxtaposent à ceux-ci.
Les décisions du Conseil constitutionnel
ont fermé la porte à une évolution de la Corse vers un
statut inspiré du droit de l’Outre Mer, domaine où la
délégation législative sera reconnue par le biais de la révision
constitutionnelle du 20 juillet 1998 (Titre XIII, art. 76 et 77), puis par la loi
organique du 19 mars 1999 qui confère au congrès de
Nouvelle-Calédonie compétence pour adopter des "lois du
pays",
que jugera non le juge administratif mais le Conseil constitutionnel. Toute
réforme ultérieure du statut de la CTC, visant à accentuer
la reconnaissance de la spécificité de la Corse, devra tenir
compte de ces limites juridiques.