- la position de G.W. Bush
George W. Bush n'a pas peur des symboles. Mercredi, jour-anniversaire de la
naissance de Martin Luther King, il a soulevé le couvercle d'un
débat tabou depuis une génération: celui de la «discrimination
positive» en faveur des minorités («Affirmative action»).
Jugeant «inconstitutionnel» et «profondément malsain»
le système de sélection de l'Université du Michigan, qui
accorde des points supplémentaires pour les candidats issus de minorités
(noire, hispanique, asiatique...), le président américain a transmis
ses observations à la Cour Suprême: celle-ci doit examiner l'affaire
à la suite d'une plainte déposée par deux étudiants
blancs. La procédure choisie par l'université du Michigan, a déclaré
le président dans une allocution télévisée, «équivaut
à un système de quotas qui récompense ou qui pénalise
les étudiants en fonction de leur race».
«Diversité ethnique». George Bush n'a pas attaqué
sur le principe l'affirmative action, une politique initiée dans les
années 60 pour faciliter l'intégration des noirs aux classes
moyennes. Il s'est fait mercredi le défenseur de la «diversité
ethnique» dans les universités. Mais pour assurer la présence
des minorités parmi les étudiants, il propose d'autres moyens
que les critères raciaux, qu'il juge «injustes, semant la discorde,
et incompatibles avec notre constitution».
Dans l'Etat du Texas, dont il a été gouverneur pendant six ans,
il a ainsi mis en place un système dans lequel les lycéens comptant
parmi les 10% les meilleurs de leurs établissements - tous les établissements,
y compris ceux des quartiers défavorisés - étaient assurés
d'intégrer les Université d'Etat. En Floride, son frère
gouverneur a agi de même.
«Points» contre «quotas». L'adresse télévisée
de Bush n'a pas manqué de réveiller les passions. «L'administration
participe à l'attaque contre l'intégration par l'éducation»,
déclarait jeudi la coalition pour la défense de l'affirmative
action. L'amalgame fait par Bush entre la distribution de «points»
de l'université du Michigan et un système de «quotas»,
a particulièrement choqué les associations de droits civiques.
Le mot «quotas» n'a pas été choisi au hasard par Bush:
la grande majorité des Américains y est hostile et la Cour Suprême
les a explicitement condamnés en 1978 dans l'arrêt «Bakke
vs Board of Regents». Le représentant démocrate Dick Gephardt,
candidat à la prochaine présidentielle, s'apprête à
déposer des arguments en défense de l'Université du Michigan,
où il a fait ses études.
Politiquement, George Bush prend un risque. Son initiative plaira surtout à
sa base conservatrice traditionnelle, pour qui les critères de sélection
ne doivent être basés que le mérite. Le Président
fait le pari qu'elle ne lui fera pas perdre de voix chez les Hispaniques (la
minorité qui croît la plus vite) et qu'elle sera comprise par une
partie des noirs. La classe moyenne noire est de plus en plus importante aux
Etats-Unis, et une bonne partie de ses membres n'apprécient guère
les critères purement raciaux qui dévaluent, dans le regard des
autres, leurs propres mérites. Bush espère-t-il grappiller quelques
voix de ce côté? Comme le remarque Stephen Hess, de la Brookings
institution, «électoralement, on ne joue pas dans cette affaire
sur des grands nombres». Lors de l'élection de 2000, Bush n'a en
effet réussi à convaincre de voter pour lui que 9% des noirs.
Libération 16/01/2003
- la décision de juin 2003 Université du Michigan
Etats-Unis: La discrimination positive maintenue, mais limitée
La Cour suprême américaine a réaffirmé le droit pour
les universités de favoriser les étudiants issus de minorités.
Elle a toutefois limité l'application de ce droit, en se prononçant
contre des quotas ou l'attribution systématique de points. Cette décision
devrait sauvegarder le principe de la discrimination positive, attaquée
par l'administration Bush.
La décision de la Cour suprême américaine est équilibrée.
A une courte majorité, les juges ont estimé qu'il était
acceptable de privilégier un étudiant noir sur un étudiant
blanc, dans le but d'assurer la diversité du corps étudiant. Le
principe élémentaire de la discrimination positive (affirmative
action) est donc sauvegardé. En même temps, la haute cour en a
limité les applications concrètes en déclarant inconstitutionnelle
l'application de quotas préétablis ou l'attribution automatique
de points supplémentaires pour les étudiants issus de minorités.
Ce jugement perpétue une pratique mise en place dans les années
60 pour assurer une présence accrue des minorités au sein des
universités et des administrations où elles étaient dangereusement
sous-représentées. Même si la décision d'hier ne
concerne que les universités en partie financées sur fonds publics,
elle permettra d'asseoir la pratique de la discrimination positive dans le monde
de l'entreprise, dans l'administration ou dans l'armée, à un moment
où l'administration Bush semblait chercher à l'affaiblir.
La Maison Blanche s'était en effet jointe aux plaintes de trois étudiants
blancs, qui estimaient avoir été écartés des concours
d'entrée de l'Université du Michigan et de sa faculté de
droit à cause de leur couleur. Les deux premiers, Jennifer Gratz et Patrick
Hamacher, avançaient qu'en dépit de leurs bons résultats,
ils avaient été recalés au profit d'étudiants issus
de minorités. Comme de nombreuses universités, celle du Michigan
reconnaît prendre en compte la race comme un critère de choix pour
admettre un étudiant. Pour départager les candidats, l'établissement
leur attribue même des points mesurant leurs performances académiques,
avec des points supplémentaires pour les candidats originaires de minorités
sous-représentées, ainsi que pour les enfants de parents ayant
fréquenté l'université et les sportifs de haut niveau.
Par six voix contre trois, ce système a été condamné
par la Cour suprême.
L'intérêt supérieur de la société américaine
En revanche, dans le cas de Barbara Grutter, une mère de deux enfants
dont on a refusé l'entrée dans la faculté de droit, les
juges, par cinq voix contre quatre, ont décidé que la prise en
compte de la race au cas par cas, sans attribution de points ou application
de quotas, était une pratique en conformité avec la constitution.
La juge Sandra O'Connor, qui a a voté en faveur de la discrimination
positive, a justifié ce choix au nom de l'intérêt supérieur
de la société américaine. «Cette Cour a reconnu depuis
longtemps que l'éducation est à la base d'une bonne citoyenneté,
a-t-elle expliqué. La participation véritable des membres de tous
les groupes raciaux et ethniques à la vie civique de notre nation est
essentielle si l'on veut réaliser le rêve d'une nation une et indivisible».
Elle a toutefois déclaré espérer que «d'ici les prochaines
25 années, l'utilisation de la préférence raciale ne ser(ait)
plus nécessaire». Cette même juge, qui a permis à
la tendance plus libérale de l'emporter sur la question de la discrimination
positive, a en revanche voté contre le système de points. «La
politique de l'université, qui distribue automatiquement 20 points, soit
un cinquième des points nécessaires pour garantir l'admission,
à chacun des candidats issus d'une minorité sous-représentée
uniquement à cause de sa race, n'est pas conçue de manière
adéquate pour remplir l'objectif de diversité dans l'éducation»,
ont décidé les juges.
C'est la première fois depuis 1978 que la Cour suprême se prononce
sur le principe de la discrimination positive. Saisie à l'époque
à la suite de la demande d'un étudiant blanc recalé à
deux reprises par l'université de Chicago, la haute cour avait condamné
la pratique des quotas, en expliquant que la promotion des minorités
ne devait pas se faire au détriment des blancs. Mais elle avait en même
temps admis que la race pouvait être prise en compte comme un facteur
déterminant dans l'admission d'un candidat. Depuis, la discrimination
positive a fait l'objet de nombreuses attaques des milieux conservateurs qui
veulent y mettre un terme. Ils espéraient être servis par la Cour
suprême où siège actuellement une forte proportion de juges
considérés comme proches du parti républicain. Ainsi, le
président de la cour, le juge William H. Rehnquist et deux de ses confrères
ont estimé que la faculté de droit appliquait en fait un programme
constituant «un pur effort pour atteindre un équilibre racial»
selon lui «manifestement inconstitutionnel». Le juge Clarence Thomas,
le seul juge noir de la Cour, a pour sa part estimé que «à
chaque fois que le gouvernement met des citoyens sur des registres en fonction
de leur race (...) cela nous abaisse tous.»
Bien qu'il n'ait pas vraiment obtenu gain de cause, le président Bush,
qui soutenait les plaignants, a applaudi la décision de la Cour. «Comme
la Cour, j'appelle de mes vux le jour où l'Amérique sera
réellement une société aveugle aux couleurs» a-t-il
déclaré. Mais ses opposants politiques ont sauté sur l'occasion.
Le candidat démocrate a la présidence, le sénateur du Connecticut
Joseph Lieberman, a affirmé que «les décisions sont mitigées,
mais le message est clair : la discrimination positive est constitutionnelle
et les efforts du président Bush pour la saper ont échoué».
La présidente de l'université du Michigan, Mary Sue Coleman, a
pour sa part déclaré à AP que «une majorité
de la Cour a fermement endossé le principe de la diversité. C'est
une affirmation retentissante qui sera entendue dans tout le pays, depuis les
classes de nos universités jusqu'aux conseils d'administration de nos
entreprises».
PHILIPPE BOLOPION (24/06/2003) RFI