Décision n° 2001-455 DC - 12 janvier 2002
Loi de modernisation sociale
- SUR LE GRIEF TIRÉ DE L'ATTEINTE PORTÉE A
LA LIBERTÉ D'ENTREPRENDRE PAR L'ARTICLE 107 ET PAR LE CHAPITRE 1ER DU
TITRE II :
* En ce qui concerne l'article 107 :
43. Considérant que l'article 107 de la
loi déférée modifie l'article L. 321-1 du code du travail
en remplaçant la définition du licenciement économique
issue de la loi n° 89-549 du 2 août 1989 par une nouvelle
définition ainsi rédigée : " Constitue un
licenciement pour motif économique le licenciement effectué par
un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la
personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation
d'emploi ou d'une modification du contrat de travail, consécutives soit
à des difficultés économiques sérieuses n'ayant pu
être surmontées par tout autre moyen, soit à des mutations
technologiques mettant en cause la pérennité de l'entreprise,
soit à des nécessités de réorganisation
indispensables à la sauvegarde de l'activité de l'entreprise
" ; qu'il résulte des termes mêmes de ces dispositions
qu'elles s'appliquent non seulement dans l'hypothèse d'une suppression
ou transformation d'emploi mais également en cas de refus par un
salarié d'une modification de son contrat de travail ; qu'en vertu de
l'article L. 122-14-4 du même code, la méconnaissance de ces
dispositions ouvre droit, en l'absence de cause réelle et
sérieuse du licenciement, à une indemnité qui ne peut
être inférieure au salaire des six derniers mois ;
44. Considérant que les
requérants soutiennent que cette nouvelle définition porte une
atteinte disproportionnée à la liberté d'entreprendre ;
qu'en limitant, par la suppression de l'adverbe " notamment ", la
liste des situations économiques permettant de licencier, " le
législateur écarte des solutions imposées par le bon sens
comme la cessation d'activité " ; que la notion de "
difficultés sérieuses n'ayant pu être surmontées par
tout autre moyen " va permettre au juge de s'immiscer dans le
contrôle des choix stratégiques de l'entreprise qui
relèvent, en vertu de la liberté d'entreprendre, du pouvoir de
gestion du seul chef d'entreprise ; que les notions de " mutations
technologiques mettant en cause la pérennité de l'entreprise
" ou de " nécessités de réorganisation
indispensables à la sauvegarde de l'activité de l'entreprise
" constituent des " formules vagues " dont la
méconnaissance sera néanmoins sanctionnée par les
indemnités dues en l'absence de cause réelle et sérieuse
du licenciement ;
45. Considérant que le Préambule
de la Constitution réaffirme les principes posés tant par la
Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 que par le
Préambule de la Constitution de 1946 ; qu'au nombre de ceux-ci, il y a
lieu de ranger la liberté d'entreprendre qui découle de l'article
4 de la Déclaration de 1789 ainsi que les principes économiques
et sociaux énumérés par le texte du Préambule de
1946, parmi lesquels figurent, selon son cinquième alinéa, le
droit de chacun d'obtenir un emploi et, en vertu de son huitième
alinéa, le droit pour tout travailleur de participer, par
l'intermédiaire de ses délégués, à la
détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la
gestion des entreprises ;
46. Considérant qu'il incombe au
législateur, dans le cadre de la compétence qu'il tient de
l'article 34 de la Constitution pour déterminer les principes
fondamentaux du droit du travail, d'assurer la mise en oeuvre des principes
économiques et sociaux du Préambule de la Constitution de 1946,
tout en les conciliant avec les libertés constitutionnellement garanties
; que, pour poser des règles propres à assurer au mieux,
conformément au cinquième alinéa du Préambule de la
Constitution de 1946, le droit pour chacun d'obtenir un emploi, il peut
apporter à la liberté d'entreprendre des limitations liées
à cette exigence constitutionnelle, à la condition qu'il n'en
résulte pas d'atteinte disproportionnée au regard de l'objectif
poursuivi ;
47. Considérant, en premier lieu, que
la nouvelle définition du licenciement économique
résultant de l'article 107 de la loi déférée limite
aux trois cas qu'elle énonce les possibilités de licenciement
pour motif économique à l'exclusion de toute autre
hypothèse comme, par exemple, la cessation d'activité de
l'entreprise ;
48. Considérant, en deuxième
lieu, qu'en ne permettant des licenciements économiques pour
réorganisation de l'entreprise que si cette réorganisation est
" indispensable à la sauvegarde de l'activité de
l'entreprise " et non plus, comme c'est le cas sous l'empire de l'actuelle
législation, si elle est nécessaire à la sauvegarde de la
compétitivité de l'entreprise, cette définition interdit
à l'entreprise d'anticiper des difficultés économiques
à venir en prenant des mesures de nature à éviter des
licenciements ultérieurs plus importants ;
49. Considérant, en troisième
lieu, qu'en subordonnant les licenciements économiques à "
des difficultés économiques sérieuses n'ayant pu
être surmontées par tout autre moyen ", la loi conduit le
juge non seulement à contrôler, comme c'est le cas sous l'empire
de l'actuelle législation, la cause économique des licenciements décidés
par le chef d'entreprise à l'issue des procédures prévues
par le livre IV et le livre III du code du travail, mais encore à
substituer son appréciation à celle du chef d'entreprise quant au
choix entre les différentes solutions possibles ;
50. Considérant que le cumul des
contraintes que cette définition fait ainsi peser sur la gestion de
l'entreprise a pour effet de ne permettre à l'entreprise de licencier
que si sa pérennité est en cause ; qu'en édictant ces
dispositions, le législateur a porté à la liberté
d'entreprendre une atteinte manifestement excessive au regard de l'objectif
poursuivi du maintien de l'emploi ; que, dès lors, les dispositions de
l'article 107 doivent être déclarées non conformes à
la Constitution ;